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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Être mystérieux qui, d’un coup d’œil glaçant,
Déconcerte le rire aux lèvres du passant,
Sur tant d’infortunés, infortune célèbre !
Des calculs du malheur c’est la vivante algèbre.
De l’angle de Terris jusqu’à Berthellemot,
Il fait tourner sans fin son énigme sans mot.
Est-il un point d’arrêt à cette ellipse immense ?
Est-ce dédain sublime, ou sagesse, ou démence ?
Qui sait ? Il veut peut-être, au bout de son chemin,
Par un enseignement frapper le genre humain ;
Peut-être, pour fournir un dernier épisode,
Il attend que Rothschild, son terrestre antipode,
Un jour, dans le palais, l’aborde sans effroi,
En lui disant : « Je suis plus malheureux que toi ! »

Nous allons tâcher d’être l’Œdipe de cet autre sphinx, et de deviner cette énigme, non pas sans mot, mais dont le mot resta longtemps inconnu.

Chodruc-Duclos était né à Sainte-Foy, près de Bordeaux. À l’époque de la révolution de juillet, ce pouvait être un homme de quarante-huit ans, grand, fort, admirablement fait, cachant sous sa barbe des traits qui avaient dû être d’une rare beauté, et montrant avec affectation des mains toujours très-propres.

Il était, sinon par son adresse, du moins par son courage, le chef de cette pléiade de duellistes qui florissaient à Bordeaux, pendant l’Empire, sous le nom de crânes. Tous étaient royalistes. MM. Lercaro, Latapie et de Peyronnet passaient pour les amis les plus intimes de Duclos. Ces hommes avaient, d’ailleurs, une qualité remarquable : ils ne se battaient jamais entre eux.

Soupçonné d’entretenir, au beau milieu de l’Empire, des relations avec Louis XVIII, Duclos fut arrêté un matin, dans son lit, par le chef de la police Pierre-Pierre.

Conduit à Vincennes, il y demeura prisonnier jusqu’en 1814.

Délivré par la Restauration, il rentra triomphalement à Bordeaux ; et, comme, pendant sa captivité, il avait hérité