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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Duclos mit en joue.

— Tenez ! dit-il.

Et il lâcha le coup.

Un Suisse tomba.

Duclos rendit le fusil au jeune homme.

— Oh ! dit celui-ci, ma foi ! puisque vous vous en servez si bien, gardez-le !

— Merci ! répondit Duclos, ce n’est pas mon opinion.

Et, lui remettant le fusil entre les mains, il passa au beau travers de la fusillade, et rentra dans le Palais-Royal, où il reprit sa promenade accoutumée devant l’Apollon de bronze et l’Ulysse de marbre, unique société qu’il eût la chance d’y rencontrer pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet.

Ce fut la troisième et dernière fois qu’il parla.

Duclos, occupé de sa promenade éternelle, n’aurait, sans doute, jamais trouvé un moment pour mourir ; mais, un matin, il oublia de se réveiller.

Les habitants du Palais-Royal, qui s’étonnaient d’avoir été un jour sans y rencontrer l’homme à la grande barbe, apprirent, le lendemain, par les journaux de Cornuet, que Chodruc-Duclos s’était endormi du sommeil éternel sur son grabat de la rue du Pélican.

Depuis trois ou quatre ans, Duclos, comme nous l’avons dit, avait revêtu un costume qui se rapprochait de celui de tout le monde. La révolution de juillet en exilant les Bourbons, et le procès des ministres en emprisonnant à Ham M. de Peyronnet, ôtaient toute signification à son déguenillage, et imposaient un terme à sa vengeance.

Malgré ce changement de décoration, peut-être même à cause de cela, Duclos, comme Épaminondas, ne laissa rien pour payer ses funérailles.

Le Palais-Royal en fit les frais par souscription.

Le général la Fayette avait donné sa démission de sa place, Chodruc-Duclos de sa vengeance. — Une troisième célébrité donna sa démission de la vie : ce fut Alphonse Rabbe, dont nous avons déjà dit quelques mots, et qui mérite bien que nous lui consacrions un chapitre spécial.