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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

se disputant, sur le sable qui les brûle, une goutte de cette eau qui allume leur soif plus qu’elle ne l’apaise !

Tu es perdu dans la foule au moment où tu tombes : regarde combien d’autres tombent à la fois !

» Aurais-tu voulu vivre toujours ? Aurais-tu seulement voulu une vie de la durée de mille ans ? Rappelle-toi tes longs ennuis dans ta courte carrière, tes fréquentes défaillances sous le faix. Tu étais accablé de l’horizon borné d’une vie si courte, si incertaine, si fugitive ; qu’aurais-tu dit, ayant devant les yeux un avenir de fatigues et de douleurs immense, inévitable ?

» Ô mortels ! vous pleurez la mort, comme si la vie était quelque chose de grand et de précieux ! Et pourtant ce rare trésor de la vie, les plus vils insectes le partagent avec vous !

» Tout marche à la mort, parce que tout tend au repos et à une parfaite quiétude.

» Voici venir le jour que tu aurais dû avancer par tes vœux, si une destinée jalouse ne l’avait différé, le jour que tu as ardemment souhaité tant de fois ; voici l’instant qui te soustrait au joug capricieux de la fortune, aux entraves de l’humaine société, aux atteintes envenimées de tes semblables.

» Tu crois cesser d’être, et c’est là ton tourment…

» Eh bien, qui donc t’a prouvé que tout s’anéantissait en toi ? Tous les âges n’ont-ils pas retenti d’une immortelle espérance ? L’opinion de la spiritualité ne fut pas seulement un dogme de quelques croyances religieuses ; elle fut le besoin et le cri de toutes les nations qui ont couvert la face de la terre. L’Européen, dans les délices de ses capitales, et le sauvage Américain, sous ses huttes grossières, rêvent également leur immortalité ; tous réclament au tribunal de la nature contre l’insuffisance de la vie.

» Si tu souffres, c’est un bien de mourir ; si tu es heureux ou si tu crois l’être, tu gagneras au trépas, puisque ton illusion n’eût pas été de longue durée ;

» Tu passes d’une habitation terrestre dans un séjour céleste et pur. Pourquoi regarder en arrière, quand tu as le pied sur le seuil de la porte ? L’éternel dispensateur des biens et des