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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

cette Passion de cinq ans à Sainte-Hélène, le moyen de ne pas avoir un succès !

C’était Delaistre qui jouait Hudson Lowe ; on était obligé, je me le rappelle, de le faire reconduire, chaque soir, chez lui par la garde du théâtre pour qu’il ne fût pas lapidé.

Les honneurs de la soirée furent à Frédérick bien plus qu’à moi.

Frédérick commençait cette belle et grande réputation si consciencieusement acquise, si bien méritée.

Il avait débuté d’abord au Cirque ; puis il était venu, comme nous l’avons dit, jouer, à l’Odéon, le rôle de Nephtali dans les Macchabées, de M. Guiraud ; puis il était retourné à l’Ambigu, où il avait créé les rôles de Cartouche et de Cardillac, et était ensuite entré à la Porte-Saint-Martin, où son nom avait retenti dans Méphistophélès, dans Marat et dans le Joueur.

C’était un de ces acteurs privilégiés dans le genre de Kean, plein de défauts, mais aussi plein de qualités ; le génie de la violence, de la force, de la colère, de l’ironie, du fantasque, de la bouffonnerie était en lui.

D’un autre côté, il ne fallait pas lui demander ce qu’avait Bocage, ce que nous irons chercher dans l’homme d’Antony et de la Tour de Nesle, quand nous détaillerons les qualités de cet éminent acteur. — Bocage et Frédérick nous ont donné, à eux deux, ce que Talma jeune nous eût donné à lui tout seul.

Enfin, Frédérick était revenu à l’Odéon, où il avait joué d’une manière merveilleuse le Duresnel de la Mère et la Fille, et où il venait de jouer Napoléon.

Mais ce ne sera pas à propos de Napoléon que nous ferons ressortir les immenses qualités dramatiques de Frédérick. Pour parler de lui convenablement, nous attendrons Richard Darlington, Lucrèce Borgia, Kean, et Ruy Blas.

Ce fut ainsi que j’enjambai cet abîme invisible qui sépare une année de l’autre, et que je passai de l’année 1830 à l’année 1831, qui me conduisait insensiblement à mes vingt-neuf ans.