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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le duc d’Orléans la lut, l’approuva, la recopia, la signa, la mit sous enveloppe, et s’apprêta à la cacheter.

Mais, tout à coup :

— Bon ! dit-il, j’allais écrire une lettre de cette importance sans la montrer à la duchesse… Attendez-moi, monsieur Dupin, je reviens.

La lettre devait être fort brutale, car, depuis, M. Dupin lui-même a avoué qu’elle l’était. M. Dupin a en lui une rugosité native que n’a jamais pu effacer le rabot de l’éducation. Il continua de discuter avec Louis-Philippe roi comme il discutait avec le duc d’Orléans prince.

Un jour, dans une discussion politique, il lui échappa de dire au roi :

— Tenez, sire, je le vois bien, jamais nous ne pourrons nous entendre !

— Je le pensais comme vous, monsieur Dupin, répondit Louis-Philippe ; seulement, je n’osais pas vous le dire.

Je connais peu de mots aussi insolemment aristocratiques que celui-là.

Il avait diablement d’esprit, le roi Louis-Philippe ! Et la preuve, c’est qu’il revint tenant la même enveloppe et une lettre qui paraissait être la même.

— Pauvre duchesse ! dit-il, cela lui a fait gros cœur ; mais, ma foi, tant pis !

Et il glissa la lettre dans l’enveloppe, approcha la cire de la bougie, prépara l’empreinte, y appuya son cachet, et donna la dépêche à porter.

Seulement, la lettre qu’il envoyait à Charles X n’était point celle que venait de rédiger M. Dupin : c’en était une qu’il avait rédigée lui-même, et dans laquelle il renouvelait au vieux roi les assurances de son dévouement et les témoignages de son respect.

Ce petit tour de prestidigitation n’était pas fini, que les cris du peuple, entassé dans la cour du Palais-Royal, l’appelèrent sur le balcon.

Vingt fois par jour, pendant huit jours, Louis-Philippe fut obligé de paraître sur son balcon.