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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

la Fayette, quelque danger pour moi à passer à portée des haies et des buissons. À Chemillé, mon uniforme fit presque émeute.

J’avais, ainsi que je l’ai dit, un costume de rechange, costume de chasse tout neuf ; — après les trois journées, après le voyage à Soissons, après l’expédition de Rambouillet, l’ancien n’était plus de mise ; — ce costume était dans une espèce de portemanteau long dont un des compartiments contenait mon fusil démonté. J’aurais pu dévêtir mon habit de garde national, le plier proprement, le serrer dans mon portemanteau, au lieu et place de mon habit de chasse, mettre celui-ci sur mon dos, et continuer mon voyage, et il était évident que les trois quarts des dangers que je pouvais courir avaient disparu ; mais il me semblait que ce serait une faiblesse indigne d’un combattant de juillet. Je gardai donc mon uniforme, et me contentai de faire prendre l’air à mon fusil.

Le lendemain, je demandai mon cheval pour huit heures du matin ; je chargeai ostensiblement mon fusil de deux balles, — ce qui était une nouvelle imprudence, — je le mis en bandoulière, et je traversai une partie de la ville au milieu d’un silence qui ressemblait fort à une menace.

Je comptais, non pas aller coucher à Chollet, — il n’y a guère que six lieues de pays de Chemillé à Chollet, — mais y arriver sur les deux heures de l’après-midi, et y séjourner jusqu’au lendemain matin.

À Onze heures, j’avais dépassé Saint-Georges-du-Puy, à midi, Trémentines ; enfin, vers une heure, je m’approchais d’un endroit qui me paraissait dangereux, si toutefois danger il y avait, en ce que le chemin que j’avais à parcourir se trouvait resserré entre le bois de Saint-Léger et la forêt de Breil-Lambert.

J’en étais à me demander si mieux valait traverser ce malo sitio, comme on dit en Espagne, au pas ou bien au galop, lorsqu’il me sembla entendre retentir derrière moi mon nom prononcé par une voix essoufflée.

Du moment où l’on m’appelait par mon nom, je n’avais rien à craindre de celui qui m’appelait.