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sance, si bon vous semble. Pour le moment, nous n’avons pas de temps à perdre, allons droit au but et ne nous amusons pas en route. Dites-moi, le cabinet qui renferme les papiers de l’ancien président du district, est-il grand ?

— À peu près comme la moitié de ce salon…

— En ce cas vous êtes sauvé ! Essuyez vos larmes et suivez-moi.

— Anselme, m’écriai-je, fais bien attention à tes paroles. Donner un trop grand espoir à notre hôte serait, si tu n’es pas certain de l’infaillibilité de ton moyen, une légèreté coupable et cruelle. Réfléchis donc, je t’en supplie, avant de te prononcer avec tant d’assurance.

— Ne crains rien, cher ami. Je ne me suis pas avancé comme un étourdi qui ne tient pas compte des obstacles et ne voit que ce qu’il désire voir. J’ai tout pesé, tout calculé, et je répète que je suis certain du succès, pour peu, ce qui ne sera pas difficile, que l’on me seconde dans l’accomplissement de mes projet.

— Monsieur, s’écria en ce moment une domestique en entrant précipitamment dans le salon, je viens d’apercevoir au bout de la rue le même membre du comité révolutionnaire, déjà venu ce matin, qui se dirige encore vers la maison.

— C’est bien, ma bonne, dit froidement Anselme ; rendez-vous au-devant de lui et faites en sorte de l’arrêter cinq minutes !… Ayez l’air de vouloir lui faire des révélations, paraissez hésiter aux questions qu’il vous adressera, et finissez par répondre toujours ces seuls mots : « Oh ! quant à cela, citoyen, je ne sais pas. »

— C’est bien, monsieur, j’obéis ! répondit la domestique en s’en allant aussitôt.

— À présent, mes amis, nous dit Anselme, les secondes valent des années, Montons vite !


IX

Il y avait une telle autorité dans la parole de l’ancien dominicain ; le danger était si imminent, que nous nous empressâmes d’obéir en remettant à plus tard les explications.

Arrivé devant la porte du fatal cabinet, Anselme, avec une hardiesse qui nous épouvanta, arracha vivement le scellé de cire aux emblèmes de la République qui fermait la porte.

— Mais malheureux, m’écriai-je !…

— Silence donc ! me dit-il vivement. L’heure de la bataille sonnée, les soldats doivent obéir ; les chefs seuls commandent ! Cher hôte, continua Anselme, emportez avec vous les papiers de l’ex-président du district, brûlez-les, cachez-les, peu importe ; l’essentiel, c’est qu’ils disparaissent ! Vous, citoyenne, dressez tout de suite un lit dans ce cabinet, vite ! vite ! dépêchez-vous ! Voilà qui est fait, très-bien ! Chiffonnez les draps et frappez le matelas de façon à ce que ce lit semble avoir servi… C’est cela, parfait !… Alexis, allez vite chercher nos fusils qui sont dans notre chambre. Ah ! auparavant, deux mots : écoutez-moi avec attention ! Vous saurez tous que nous avons couché la nuit dernière dans ce cabinet, mon camarade et moi… C’est madame qui l’a voulu ainsi, sans en avertir son mari !… Nous étions endormis ce matin, lorsque l’on est venu mettre les scellés… Comprenez-vous ? À présent, que votre seconde domestique coure au-devant du membre du comité, retenu dans la rue par sa camarade, et qu’elle se plaigne à lui de ce que nous faisons un bruit épouvantable !… Allons, éloignez-vous tous, et laissez-nous seuls, Alexis et moi !

— Ah ! monsieur ! s’écria le greffier en tombant aux genoux d’Anselme et en saisissant une de ses mains qu’il voulut porter à ses lèvres. Je ne comprends pas trop bien votre projet, mais je crois que je suis sauvé ! Que mes remercîments, ma reconnaissance…

— Que le diable vous confonde avec votre bavardage ! Allons, je vous le répète, dépêchez-vous de nous laisser seuls.

À peine le greffier et sa femme étaient-ils partis, qu’Anselme commença à pousser des cris aigus, dignes d’un Huron en délire, et à allonger de terribles coups de poing contre la muraille et contre la porte.

— Voici le membre du comité qui monte, nous dit bientôt une voix venant de la pièce voisine, et que nous reconnûmes pour être celle de la domestique que nous avions expédiée pour le retenir un moment dans la rue.

— À l’ouvrage, Alexis ! me cria Anselme.

Prenant aussitôt nos fusils par le canon, nous nous précipitâmes avec violence, Anselme et moi, contre la porte. Au second choc, elle s’écroula avec fracas, et nous nous trouvâmes en présence du membre du comité révolutionnaire, qui, aveuglé par la poussière et étourdi par le bruit, se recula vivement devant nous.

— Parbleu ! citoyens, nous dit-il en se remettant un peu de sa surprise, vous auriez bien pu attendre que l’on fût venu vous délivrer. Je venais justement pour lever les scellés !

— Ah ! c’est vous, citoyen scelleur, s’écria Anselme en levant son fusil par le bout du canon, comme si c’eût été une simple et légère badine, et en faisant voltiger la crosse au-dessus de la tête du nouveau venu ; ah ! c’est vous qui mettez ainsi sous le séquestre les défenseurs de la patrie. Je ne sais qui me retient de vous défoncer le crâne, misérable traître !

— De grâce, Anselme, calme-toi, lui dis-je en jouant la frayeur, j’avoue que cet infâme royaliste, ce brigand de fédéraliste mérite la mort, mais n’oublie point qu’à la loi seule appartient le droit de punir.

Le membre du comité révolutionnaire était tellement effrayé, qu’il resta un moment sans pouvoir parler. Toutefois, se voyant près de l’escalier, il reprit un peu de confiance, et, élevant la voix :

— Croyez-vous donc me faire peur et m’en imposer avec votre crosse de fusil, citoyen ? — dit-il à Anselme, — Sachez, tel que vous me voyez, que j’ai servi deux mois en qualité de canonnier ! Ah ! vous osez parler de la loi ! eh bien, nous allons voir à qui de nous deux elle donnera raison ! Je vais dresser, sans plus tarder, procès-verbal de votre criminelle conduite, Je ne vous dis pas adieu, mais au revoir !

— Ni adieu ni au revoir ! répondit Anselme, car nous ne vous quittons plus ! Nous aussi, nous avons à écrire une petite pétition, et à faire un rapport ! Tu nous permettras bien de nous servir de ton écritoire !

— À ton aise, citoyen ; seulement rira bien qui rira le dernier, dit le membre du comité, qui descendit alors dans le salon et s’installa devant une table pour écrire. Nous nous assîmes aussitôt à côté de lui, et nous étant fait apporter une grande feuille de papier, nous rédigeâmes à haute voix, Anselme et moi, la dénonciation suivante :

(Ce remarquable morceau épistolaire, dont j’ai gardé la minute, me semble si bien réussi, et présente un échantillon si parfait du style de notre époque, que je ne puis résister au désir de le transcrire ici.)

« Aux citoyens représentants, membres du Comité de salut public de la Convention.

« Citoyens représentants,

« Il n’y a rien de plus long que les fils des trames contre-révolutionnaires : ils s’étendent de Montélimar à Londres et de Londres à Montélimar. Pitt a fait passer des guinées dans cette ville : nous en sommes aussi sûrs que si nous les avions vu compter : nous le prouverons. Il y a ici un agent,