Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 1, 1866.djvu/35

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a souvent vu tomber des spadassins sous l’épée de gens inexpérimentés… Du courage !

— Oh ! ce n’est plus le courage qui me manque, citoyen, me répondit Michaud, puisque je suis décidé à mourir ! Seulement, je vous répète qu’avec Scévola il n’y a pas de chance que j’en réchappe, car si cette chance existait, Scévola ne se battrait pas avec moi !

— Mais ce Scévola est donc un tigre ? demanda le compagnon de Michaud, le nommé Fontaine qui, spectateur muet de toute la scène qui venait d’avoir lieu, n’avait cependant pas quitté son ami.

— On l’appelle le tueur d’hommes, Fontaine, et l’on a raison ! Ce soir, on ne verra plus que ma femme dans le comptoir de ma boutique : la ville comptera un drapier de moins ! Quant à moi, je regrette une chose, c’est que tu aies quitté, mon bon Fontaine, et Arles et ton magasin de mercerie, pour venir passer une semaine avec moi… car ma mort va te déranger. :

— Voyons, tais-toi ! interrompit le mercier Fontaine en imposant silence à son ami ; tu ne vois donc pas que je pleure !… Dieu de Dieu ! si je savais avoir du courage ! Et pourquoi, au fait, en manquerais-je ? Je suis persuadé que c’est la peur que l’on éprouve d’avoir peur qui paralyse le plus souvent vos bonnes intentions. Quant à manier une épée, ça ne doit pas être aussi difficile qu’on se le figure. Je suis bien sûr que si j’étais assez en colère pour foncer sur mon adversaire sans m’inquiéter de rien, je lui donnerais du fil à retordre ! Le difficile, c’est de savoir se mettre en colère au bon moment. Tout est là !

Nous arrivâmes au quartier, et je m’empressai de chercher Anselme ; malheureusement il venait de sortir, et l’on ne put me donner aucun renseignement sur la direction qu’il avait suivie. Comme nous n’avions pas de temps à perdre, je pris des épées et me dirigeai, suivi des deux marchands, vers la porte de la ville où nous devions nous rencontrer avec nos adversaires.

En effet, Scévola, flanqué de deux drôles dans son genre, nous attendait déjà sur le terrain.

— Tu es seul, citoyen ? me demanda-t-il. Je ne vois pas de second témoin.

— Et moi, donc ! s’écria le mercier Fontaine, en s’avançant avec un air de résolution qui m’étonna ; est-ce que je ne compte pas ?

— Toi, répondit Scévola en haussant les épaules ; un vendeur de coton et d’aiguilles ; mais tu ne sais pas, malheureux, ce que c’est qu’un duel ! Après tout, peu m’importe ! L’essentiel pour moi, c’est de tuer d’abord ce gredin de Michaud, et de donner ensuite une leçon à quelqu’un que je sais…

— Si le citoyen Michaud veut bien y consentir, ce quelqu’un que vous savez se trouverait heureux de prendre sa place, dis-je au spadassin.

— Du tout, me répondit-il, je tiens beaucoup à ce que les choses se passent régulièrement. Michaud est le premier inscrit, à nous deux d’ouvrir la danse.

Scévola, en parlant ainsi, jeta bas sa carmagnole, et, montrant sa poitrine nue :

— Je n’aime pas attendre ! dit-il.

— À revoir, Fontaine, murmura tristement le pauvre drapier en donnant une poignée de main à son ami, — c’est fini.

Les adversaires s’étant placés à une distance convenable, je donnai le signal du combat, et ils croisèrent le fer !

— Je n’ai pas peur, me dit Michaud à voix basse. Cependant je sens que je vais me trouver mal !

— Allons, du courage, lui répondis-je vivement, on nous regarde…

À la façon dont le malheureux drapier tenait son épée et à l’aplomb avec lequel Scévola tomba en garde, l’issue du