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MONSIEUR

JAGQUES. #1


commença, Ge fut justement Riouffe que l'on appela. Sur chaque lit siégeait nn juré ; le prévenu Riouffe monta sur une table qui leur faisait face; le greffier et l’accusateur publie remplissafent le parquel

ï Ce lut vraiment une scène étrange que celle qui se passa alo

Les jurés, come convaincus de l'importance de leu fonctious, observaient un profond silence et ne per t pas de vue une seconde le malheureux prévenu , que l'acèu - Saleur public accablait de son éloquence.

Si l'attaque fut chaude, la défensé ne laissa rien à désir Riouffe déploya une verve, un pathétique, uu à-propos q! firent une si grande impression sur fe tribunal, que l’accusa- teur publie fut obligé de lui ôter la parole, en déclarant qu'il avait manqué de respect au jury.

Quelques secondes plus tard Rionffe fut condamné à mort, et l'on procéda à son exécution avec ce même sérieux qui avait duré pendant laut cet étrange procès.

Entre Jes compartiments de deux lits on installa une guil- lotine : Rioufle, saisi par quatre jurés métamorphosés en aides-bourreau , les mains garrattées, el lé col nu et décôu- vert, fut conduit, au milieu de vociférations et d'insultes, à Ja fatale machine. 11 demanda alors à parler au peuple, mai celle faveur lui fut refusée, et comme il insistait on Le bai lonna, et ce fut dans cet-état qu'il reçut le coup fatal.

.… Riouffe exécuté, et je dois avouer qu'il était impossible de se prêler avec plus d'esprit, dé complaisance el de grâce à cette bizarre plaisanterie qu'il ne le fit; Rioulfe exécuté, où appela Lassagne,

. time pas à jouer , répondit l'ex-assassin ; laissez- moi dormir, 3

Défaite et refus inutiles! Lassagne fut forcé de se rendre au désir de a majorité él d'aller prendre la place du défunt Riouffe sur le banc ou, pour être plus exact, sur la table d'accusation,

A peine l'assassin fut-il assis, que son procès ‘commença avec vigueur. Gelte fois, ce ne furent plus des gricfs imagi- naires, mais bien des acensalions réelles, que fit entendre la voix du représentant de la loi. Il rappela à Lassagne ses crimes passés , sa vie honteuse; il l’accabla. Alors eut lieu une scène dont le souvenir ne s’effacera pas de longtemps de ma mémoire ; le misérable, oubliant qu'il n’était question

ue d'une simple plaisanterie, rougit, pAlit, se lroubla el fuit par présenter sérieusement sa défense, chef-d'œuvre


de platitade et de lâcheté.

Il avoua que sa jeunesse, viciée par l'exemple que lui donnaièntles ci-devants, avait été légère; maïs que, régénéré plus tard par l'ayénement de la République, il avait large- ment rachelé son passé. *

— Quels services as-tu rendus au pays? lui demanda l'accusateur publi J'ai dénoncé plus de trois cents personnes, j'ai m cré une marquise, deux comlesses el fait guilloliner dix émigrés, répondit-il avec orgueil. *

Cette réponse produisit sur le jury, qui représentait, je J'ai déjà dit, le tribunal révolutionnaire, une impression eX= trèmement favorable pour Lassagne, et il allait probablement dire, — chose rare, — acquilté, lorsque l'accusateur public donna lecture d'un billet, où Lassague demandait à un éuni= gré cinq cents louis d’or pour lui fournir un passe-port, Las- sague fut condamné! À peine venait-il de subir son juge- ment, — et le misérable ne put se défendre d'un véritable tremblement nerseux en se voyant conduire au pliant qui représentait la guillotine ; — à peine, dis-je, venait-il de su- Dir son jugement , quand un spectre revêtu d’un drap blanc apparut Lout à coup à nos regards élonnés, el suisissan! l'as sassin par Jes cheveux : — Lassagne ! Lassagne ! Lassaguc 1 lui cria--il d'une voix lamentable, je suis-La viclime el je viens Le chercher pour te conduire aux enfers !

Lassagne, qui ne s'attendait pas à celte apparition, qu'il aperÿut tout ä-coup en retournant la têle, poussa un eri el

ass


tomba à genoux en demaudant grâce ! Le de lisse à juger au lecteur du fou rire qui s'empara de nous à ce grotesque spectacle,

Le spectre n'était autre que mon ami Rioufe.

Ainsi se passaient nos nuits à la Conciergerie.

di n'y a que le Français capable de plaisanter ainsi avec [a

mort. .

FA séance terminée ; chacun éssaya de se livrer aux dou-

cœurs du sommeil ; mais hélas! que de souvenirs chers et cruels viurent à la fois nous assaillir el nous empêcher de goûter nn moment de repos! f

Un de nos compagnons d'infortane ; accablé par la fatigue ou vaincu par une insoinie trop prolongée , fermait-il enfin ses paupières, que bientôt l’on entendait sa voix, rendue sourde par le sommeil, appeler avec un accent saccadé et plaintif, sa feinme, sa flle, sa mère !... j

Quant à moi, je venais à peine de m'endormie, quand un brait épouvantable me réveilla en sursaut. Je vis, en ouvrant les yeux, notre eachôt rempli de guichetiers, de gendarmes et de gros dogues.

— On vous apporte, wisérables, vos actes d'accusation pour comparaître devant le tribunal, nous dit Bertrand ; qui de vous s'appelle un lel, un {el, elc. Personne ne répond, continua le concierge Bertrand, alors, allons ailleurs,

— Quelle barbarie dis-je à Riouffe, lorsque les gu liers et les gendarmes se furent relirés; ces hommes n’au- Î s pas pu, avant de nous réveiller d'une si horrible façon, prendre aû moins la peine de parcourir les actes d'ac- cusation et de voir s'ils nous étaient destinés.

— Ils n'en auraient eu garde, me réponditsil, car cela nous eûl évité une souffrance, Ils ont l'habitude d'entrer ti aque nuit dans tous les cachots!

En el, j'entendis pendant tout Je reste de la nuit, — car il me fut impossible, jusqu’au lendemain, de me rendormir, — des portes s'ouvrir avec fracas, el rétentir Ja voix de nos geôliers.

Dès la première semaîne qui suivit mon entrée dans la ection des détenus politiques, je fus, hélas, à même de , par mes propres veux, que Riouffe ne m'avait exagéré en rien la férocité toujours inassouvie de mes bourreaux , et que, dans la peinture qu'il m'avait faite de l'intérieur de la Gonciergerie, il était resté en déçà de la vérité.


IX

Je faisais ma soviété habituelle de Rioufe, à qui je m'atla- chais chaque jour duvautage, T1 me traduisait des passages de Goïte, de Shakespeare el du Tasse, car Riouife possédait à fond, je l'ai déjà dit, les Jangues allemande, anglaise et ita-

F licnne, — et moi, je lui racontais mes étapes de volontaire.

De jour en jour aussi, mon nonvel ai, si sincèrement répu- blicain jusqu'alors, revenait de ce qu'il appelait son erreur de jeunesse , et mäudissait son enthousiasme et sa orédulité passés. L'idée que les botnèles gens, faute d'entente et d'u- nion entre eux, se lrouvaient dominés par une poignée de bandits, le mettait parfois dans des accès de rage, ou le fai- sait tomber dans des décourageiwents dunt j'avais toutes les peines du monde à le tirer,

Au resle, notre cohlact incéssant avec le bourreau avait fini par nous donner un tel mépris de la vie, que nous ne nous gènions nullement pour exprimer tout laut nos senti- ments anti-révolutionnaires ; en cela, nous ne aisions, Rioufre.et moi, nallement exéeptios à la façon d'agir de nos compagnons d'inforlune, Je n'ai jamais vu nulle part une plus grande iiberté de parole qué cellé qui régnait à la Gon= ciergerie,

J'ai déjà mentionné, — mais sans m'arrêter à celle par- ticularilé caractéristique de l'époque autant qu'elle le mé- rite, le dégoût profond de la Vié que a plupart des détenus ressenlaient. Il ne se passait guère de jours sähs que l'on n'eùl à mentionner plusieurs suicides. Les feñmés, soit qu'elles fussent relenues par des idées religieuses, soit que Jeur courage faiblit au moment décisif, les femmes, dis-je, employaient un singulier moyen pour se débarrasser du fat- deau de l'existence. Elles se dénoncaient elles-mêmes l'accusateur public comme ayant eu des intelligences avé l'étranger, ou bien elles faisaient surprendre lettres,