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EUR JACQUES,


que malgré tous mes effor bout.

Le guichetier Isidore, voyant mon embarras, me mit sans mot dire sur son dos et m'emporta au réfecloire. D

A peine étais-je installé dans le réfectoire, que mon gui- chetier habituel m'apporta un plat de viande, un hareng, une bouteille de vin et un pain Dane.

A la vue de ces aliments, j'oubliai un moment el ma fai- blesse et mes souffrances ; la brute prit le dessus sur l'homme, et je me jetai avidement sur mon repas, que je dévorai avec une gloutonnerie dont je ne puis me souvenir sans rougir.

La bouteille de vin capiteux, — c'était, autant que je me le rappelle, du roussillon, — que l’on n'avait servi, et que je bus presque d’un coup, ne tarda pas à me troubler ln son. Je ressentis une gaieté folle; j'oubliai et ma triste posi tion présenté et mon avenir si menaçant. Mon guicheier me parut aimable, et je trouvai Isidore, qui ne prouonça pas une seule parole, un garçon rempli d'esprit.

— Si tu veux attendre un peu ici, cilo: me dil le gui- chetier, lorsque j'eus terminé mon repas, je vais aller met- toyer 1ün cachot. Seulement, je dois l'averlir qu’il fau

our le débarrasser de la vermine, employer au moins deux tres de vinaigre, et que l'administration ne m'en fournit pas une goutle.

— Eh bien! je le paierai, ce vinaigre, m'éc sortant une poignée d'écus de ma poche, j'ai de l'argent.

Le guichetier, je dois lui rendre celte justice, se coutenta de me prendre dix-huit livres. Je déclare que, lorsque plus tard je revins à moi, je lui sus gré de sa modération, car j'étais alors dans un élat à me laisser dépouiller de tout ce que je possédais, sans opposer la moindre résistance : après tout, il est probable que le guichetier, sachant que tôt où tard'mes fonds devaient revenir au concierge, n’osa pas em- piéter davantage sur les droits de son seigneur el maitre, et que ce fut à cette considération seule que je dus de n'être pas dévalisé entièrement.

J'ignore combien de temps je reslai dans le réfectoire je ne me rappelle qu'une chose, l'impression vive et pro: fonde que me causa la voix de mon guichetier, lorsqu'il m'annonça que mon cachot était prêt et qu’il m'ordouna de le suivre.

— Non, jamais ! m’écriai-je, Je me ferai plutôt tuer!

En parlant ainsi, je me levai de dessus le banc, et, sai- sissant la bouteille vide placée devant moi, je me mis en état de défense,

— Tout à l'heure, c'était une cruche, maintenant c'est une bouteille, dit Isidore avec sang-froid. Si on le laisse faire, ce gaillard-là va détruire toute la vaisselle de l'Ab- baye!… si nous le garrottions,

— Ce serait vraiment dommage d'en venir à celle extré- mité, lui répondit son compaguion, qui depuis qu'il m'avait pris dix-huit livres semblait s'être adouci, ce ciloyen n’a

as L'air méchant. Il n'est que vil... Laisse-moi, Isidore, jui parler un peu raison.

— Voyons, camarade, continua mon guichelier, en se re- tournant de mon côlé, avant d'agir, réfléchis un peu! À quoi te servira ta colère? À rien du tout, si ce n’est, toutefois, à te faire lier solidement les mains et les jambes, car lu con- çois bien que la victoire ne peut être douteuse, el que nous avons la force pour nous.

Pourquoi celte aversion pour lon cachot? Parole d’hon- neur, je ne la comprends pas. Je V'assure qu'à présent que je lei balayé de fond en comble, passé nu vinaigre et mis en Grdre, il est devenu un petit bijou. On dirait le boudoir d'une ci-devant duchesse. Je ne devine pas sur quelle rai- Son Lu motives ton entélement.

— Je ne veux pas retourner dans mon .cachot, répondis- je, parce qu'il ressemble à un lombeau ; parce qu'aucun bruit n'arrive jusqu'à moi, et que j'ai peur que ce silence de mort ne finisse par me rendre fou.

— À la bonne heure!-Voilà au moi


je ne pus réussir à me tenir de-


une raison, I ny


a rien de Lel que de dire franche r arri A franchement les choses pour arri- Eh bien ! puisque c'est le silence qui L'efiraie, voilà que je puis faire pour {oi ; je fermerai seulement la nue porte de ta prison, el je lisserai les trois autres ouvertes, De cette facon, lu entendras les chants, les cris, les pleurs et les disputes de tes compagnons, qui ne sont pas comme

toi au secret.

— Tu me jures que ln laisseras les portes ouvertes ? de- mand je à demi vaincu au guichelier, car je comprenais que ma résislance ne pouvait en effet aboutir à rien de bon pour moi.

— Je te le jure sur l'écu que tu vas donner à mon cama- rade Isidore, qui la tenu compagnie pendant tout le temps de ton repas, me répondit-il.

— Eh bien ! alors, retournons à mon cachot, dis-je avec un soupir, el en remettant à Isidore l'écu demandé.

Quoique l'aspect du numéro 17 fût encore affreux, et qu'il eût fait reculer d'horreur un homme moins habitué que je l'étais déjà aux cachots, le guichetier l'avait cependant net- Loyé et approprié avec assez de conscience, el il me parut supportable.

Etourdi par le vin de Roussillon, je me jetai sur le grabat et je ne tardai pas à m'endormir d'un profond somm La nature ne perd jamais ses droits : le lecteur ne s’élonnera done pas lorsque je lui avouerai que je ne me réveillai que le lendemain dans l'après-midi ; j'avais dormi vingt heures.

Je fus quelque temps, en me réveillant, avant de pouvoir parvenir à meltre un peu d'ordre dans mes idées et à me rappeler ce qui était arrivé la veille.

La première pensée qui sortit de mon cerveau brûlé eL en feu fut une pensée de reconnaissance pour la digne et excel- lente concierge, la citoyenne Richard. Je suis heureux de pouvoir consigner ici sa conduite généreuse et si désinté- ressée à mon égard, car j'appris par la suite, d'un grand nombre d’ex-délenus à la Gonciergerie, que ce qu'elle avait fait pour moi n'était nullement une exception, et qu'elle s'était toujours montrée la Providence des opprimés el des malheureux.

Bonne et excellente femme, combien ton cœur à di souf- ir el saigner au spectacle des horreurs sanglantes et abo- minables qui se sont passées sous Les yeux! Puisses-lu Lrou- ver dans le calme et le contentement de la couscience l'ou- bli de tous ces affreux souvenirs !

Ma seconde pensée, après que mon cœur eut payé le lri- but de reconnaissance qu'il devait à la citoyenne tichard, fut d'aller écouter à la porte de mon cachot si la voix de mes compagnons d'infortune arrivait jusqu’à moi. À peine eus-je appliqué mou orcille contre le chêne recouverl de RE fermait ma prison, que j'entendis, affaibli il est vrai par la distance el par l'épaisseur des murs, mais parfile- ment distinct, retentir le refrain de la Marseillaise !.. Ah! combien ce refrain, qui jadis glaçait mon sang dans mes veines, car je l'avais presque loujours vu accompagner une catastrophe ; combien ce refrain, dis-je, me causa alors une douce émotion ! Il rompait, au moins, le silence de mort qui m'avait enveloppé jusqu'alors ét me rattachait, par la pen- sée, à l'humanité. Je ne me trouvais plus seul; je croyais, en entendant leurs chants, voir mes compagnons de souf- france.

J'allais me retirer du poste que j'occupais contre la porte, lorsqu'il me sembla disüuguer un bruit de pas dans le corri- dor.

— Ah! s'il m'était donné de pouvoir échanger quelques paroles avec un compagnon d'infortune! pensai-je, Mais pourquoi ne pas tenter l'uventure? Que peut-il m'arriver ? Rien, ï

olution prise, je passai sans tarder à l'ac- à plat ventre par terre, ma bouche contre le sol aussi près que possible de l'interstice qui existait entre le bus de la porté et le sol, je réunis toutes les forces de mes poumons, el d'une voix éclatante à