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42 LUCILE,


« reté générale, le gouvernement républicain, et de rétablir «la royauté ; enfin, en voulant rompre l'unité el l'indivisibi- «lité de la République. »


Telle était cetie pièce, outrageant à la fois la langue fran- çaise et l'humanité, qui avait fait monter vingt-cinq inno- centes victimes sur l'échafaud.

Vers midi de cette journée du 6, la femme Semé revint de nouveau nous annoncer, avec celle même joie ignoble et féroce qu'elle avait déjà montrée la veille, que nous n'eus- sions pas à nous impatienter, que l'on s'occupait de nous, que nos carrosses ne pouvaient larder encore longtemps à apparaîlre.

Eu eflet, après une-agonie morale qui dura trois heures, nous entendimes résonner sur les pavés de notre cour les roues des chariots.

Par un raflinement de cruauté inqualifable, l'huissier, chargé d'appeler les victimes de celle seconde journée, ne procéda que deux heures après l'arrivée des charreltes, à cette lugubre formalité.

Peudant deux heures entières, nous eùmes donc le Lrian- gle de la guillotine, la terrible épée de Damoclès de Fan IT de la République, suspendue sur nos lèles.

Plusieurs déteuus, irrités d'abord, puis énervés ensuite par celle longue attente, perdirent connaissance.

Je copie encore textuellement, et en m'abstenant de tout commentaire et de tout récit ; car, je le répète, je me sens à bout de forces el de courage devant ces poignants souve- nirs; je copie donc encore textuellement, dis-je, celle se- gonde liste; elle contenait les noms de :


J.-A. Roucher, de 49 ans, né à Montpellier, homme de lettres, rue des Noyers.

À, Chénier, âgé de- 31 ans, né à Constantinople, homme de lettres, ruë de Cléry.

L.-E.-6.-N, Simon, âgée de 48 ans, née à Lorbec, veuve de Maillet, lieutenant des maréchanx de France, noble.

F. Trench, âgé de 70 ans, né à Kœuisberg, ex-baron, rue de Cléry.

G. Montalembert, âgé de 63 an marquis, capitaine au ci-devaut régit Egalité.

C.-C.-I. Houdelot, âgé de 40 ans, né à Saint-Laurent- de-Brévédent, cultivateur, rue de Bondy.

C.-H.-L. Gastel, âgé de 54 ans, né à Bocanne, ex-noble, lieutenant des mousquetaires, rue Louis, au Marais.

C.-F. Rougrot de Monterif, âgé de 42 ans, né à Stigni, ex-noble, garde-corps, rue des Pères.

TB. Besscjouls de Roquekure, âgé de 46 aus, né à Toulouse, ex-marquis, colonel du ci-devant régiment de nique . Créquis de Montmorency, agé de 60 ans, né an chateau de Ghetdemberg, en Allemgne, ex-noble, ruc Cocatrix.

Doley, figé de 5 lieutenant au ci-devant

L.-S. Sers, âgé de 50 ans, né à Castre mée de Bussy, ex-commandant de Chandernagor , officier d'infanterie, rue de Grenelle-Honoré.

HL.-J. Bourdailles. âgé de 46 ans, né à Paris, ex-comte, mestre de camp de la suite de la cavalerie au Bois-Guillaume. | Goësmann, âgé de 64 ans, né à Landser, conseiller Édévant parlement Meaupou, employé par l'ancien gou- ernement eu Angleterre, rue des Bons-Enfants.

J. M. Coattarel, âgé de 32 ans, né à Plouvec, ex-noble, rue du Bouloy.

4. Raoul, âgé di ans, né à Gravesen, ex-prèlre de la doctrine dite chrétienne, marchaid mercier, rue des Lom-


né à Limoges, ex du Roi, rue Neuv


Dartigue, âgée de 46 ans, née à Marseille, autier Saint-Pri avocat au ci-devant parle-


veuve de 0 ment, cloître Saint-Elienne-des-Grès,


P. Hébert, âgé de 52 ans, né à Breville, ex-curé de Cour bevoie, près Paris, rue de là Fraternité.

L.-J.-C. Assy, âgé de 36 ans, né acParis, ex-bénéficier de l'église de Paris, parvis ci-devant Notre-Dame, 1.-B. Malocagne, âgé de 58 ans, né à Plaisant, ex-curé de Louvres.

B. Buquet, âgé de 46 ans, né à Conches, ex-curé de Ga-


er, âgé de 65 ans, né au Bis, ex-prêtre et chan-

l'ôtel-Dieu de Paris, cloître Opportune

N. Voyat, âgé de 37 ans, né à Tendon, département aré de Bouqueval, maître de langues.

é de 29 ans, né à Boux-Perron, ex-prêtre,

rue d'Ormesson. “

P.-E. Constant, âgé de 65 ans, ex-minime, né à Paris, cloitre Jacques-l'Hôpital

Le jour suivant, &’est-à-dire le 7 thermidor, nous appri- mes que les infortunés dont je viens de donner la liste, moins un seul, le dernier de tous, le minime Constant, que l'on oublia de juger, ou, pour parler plus exactement, ‘dont on oublia de mentionner le nom, furent condamnés à mort, et exécutés le lendemain.

J'étais en train de supplier mon protecteur, le porte-clefs Leduc, de garder, pour me la donner plus lard, loute lettre que pourrait m'adresser Anselme, lorsque je vis apparaître ce dernier; il causait avec un détenu; à peine neut-il aperçu qu'il accourul à ma rencontre.

— Cher ami, me dit-il en me présentant le prisonni avec qui il était en conversation, voici monsieur, qui, je dois te l'avouer, vient d'oblenir de moi ure promesse que je m'é- tais obstiné à Le refuser jusqu'à présent : celle que je renon- cerai à écrire de nouveau à Fouquier.

— Ah! monsieur, m'écriai-je en serrant les mains du compagnon d'Anselme dans les miennes, combien je vous remercie ! Mais, je vous en supplie, apprenez-moi donc com- ment vous avez fait pour vaincre la rare obslination d'An- selme! Quelle éloquence est donc la vôtre ?

= Mon éloquence, me répondit-il, est celle de la religion. Je suis prètre, et j'ai montré à votre ami qu'en se dénon- çant Ini-mème, il commettait un véritable suicide et se fer- ieit les portes du ciel.

— Le fait est que je n'avais jamais encore songé aupara- vant à cela, dit Auselme. Je suis, au reste, doublement heu- reux d’avoir fail votre connaissance, monsieur Brogniard, continua-t-il en s'adressant an curé, car je suis tourmenté par un scrupule de conscience que je serais fort heureux d'éclaircir. C'est peut-être abuser de votre bonté?

e parlez pas aiusi, mon frère! Je vous écoute : expli- quez-vous ! ,

— Je conçois fort bien, veprit Anselme après s'être re- cueilli un moment, je conçois fort bien que me dénoncer à Fouquier équivaudrait pour moi à un suicide, car enfin, il est impossible qu’en gardant le silence je ne sois pas atteint par la conscriplion qui nous décime : ma mort, Puisque je suis complètement innocent de tout crime, — ce que mes juges n'ignorent pas, — ma mort ne devient-elle pas, au lieu d'un suicide, un assassinat?

— Certes L.. Où voulez-vous en venir?

Je veux en venir à ceci, que comme il est permis, — da moins c’est une chose que j'ai crue jusqu'à ce jour, — de se défendre contre des assassins qui en veulent à votre vie, je ne commettrai aucun péché mortel en opposant de la résis- tance aux projets homicides de mes bourreaux.

— Il est incontestable, répondit le curé, qu'au point de vue de la morale, votre mort est inique et que vous avez le droit de vous défendre. Mais à quoi cela vous servirait-il? — et je parle ici non comme prêtre, mais comme homme, — sinon à augmenter votre agonie.

— C'est là, monsieur le curé, une chose qui ne regarde que moi. Mais je n’en ai pas fini avec toutes mes questions, il m'en reste encore une à vous adr r, la voici : Est-ce un crime ou un devoir, quand on rencontre un replile v meux el qui peut, si vous l'épargnez, ordre plus tard un de vos semblables, est-ce, dis-je, un crime où un devoir de