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LUCILE.

EE LS

— Tu L'y trouves bien, toi?

— Ah! C'est qu'a présent les patauds de Saint-Laurent . sant plus à craiudre, Guquereau vient de s'emparer du

ourg ! .

— Ah! Coquereau vient de s'emparer du bourg, répétai- je machioalewent, car j'ignorais alors la terrible réputation de Coquereau, ce chef un peu secondaire, peut-être, mais si redoutable et si redouté ! Ma foi, tant mieux !..

— Vous diles lant mieux, parce que vons avez peur ! re- le paysan toujours retranché derrière l'arbre. Ça ne fait rien, vous pouvez ètre assuré, si vous me luez, que Goque- réau me vengera |

— Et qui diable pense à Le tuer, s'écria Anselme, perdant à la fin patience; voilà une heure que je m'égosille à Le ré- péter que nous sommes royalistes conne toi. Au reste, si Lu conserves des soupçons, nous allons à Saint-Laurent-des- Morliers, et il te sera facile de nous dénoncer à cangereunt Voyons, oui, où non, veux-tu nous servir de guide

— Moi, je veux resler derrière mon arbre, répondit le paysan; jene vous empêche pas d'aller où bon vous semble, kaissez-moi tranquille in je suis.

— Parbleu! nous allons rejoiodre M, Jacques, répondit Anselme, connais-lu M, Jacques ?

— Vous allez rejoindre M, Jacques, répéta le paysan avec une émolion visible. Vous le connaissez donc, M: Jacques, vous?

— Je suis son ami, répondit Anselme, mais voilà assez de tps perdu comme cela. Puisque lu refuses de nous servir de guide, nous ferons en sorte de trouver toul seuls notre chemin ; bien.du plaisir dans ta faction, el au revoir|

N'ayant plus à nous inquiéter de Ja façon dont il fallait nous y prendre pour éviter Saint-Laurent-des-Mortiers, puisque ce bourg se trouvait au pouvoir des royalistes, nous nous mimes. alors, Lucile, Auselme et moi, en roule.

Nous n'avions pas fuit cent pas, que le paysan à la co- carde blanche nous rejoignit; il portait son Tusil en ban- doulière.

— Quoi! lui dis-je en riant, voilà que qu Le livres à pré- sent à Les ennemis?

— Non point, me-répondit-il en bochant Ja tête, je sais biea maintenant que vous êtes de braves gens de mon parti.

— Et comment sais-tu cela ? Où as-tu pris depuis une mi- nute des informations sur notre comple ?

— Je n'ai point pris d'informations, : répondit le paysan, maisilest bien certain que, si vous des lrailres ou des espions, vous n'auriez pas osé prononcer le nom de M. Jacques.

Cette réponse, qui décelait de la part du paysan plus d'en- thousiasme pour le héros mystérieux que de convaissance du cœur humain, acheva de me montrer à quel point M, Jac- ques était aimé et populaire.

Notre nouveau guide, pendant le trajet que nous parcou- rûmes pour nous rendre à Saint-Laurent-des-Mortiers, nous raconta à sa façon les exploits de l'ami de Lucile : à l'en croire il écurtait par un simple mouvement de tèté lés balles des bleus dirigées contre lui, et chaque ennemi qu'il tou chail de son épée towbait mort comme s'il eût élé frappé par la foudre.

Ces exagérations, dites ayec une rare cpnviction el une Boune, foi complète, furent approuvées par Lucile, que nous nous gardâmes bien, Anselme et moi, de démentir,

Ce sujel de conversation épuisé, el comme nous n’étions qu'à uu quart de lieue au plus de Saint-Laurent, je me mis à interroger notre guide sur les habitants de ce bourg.

== Ah! monsieur, me dit-il en poussant un soupir, vous ne pouvez vous imaginer combien ils sont méchants, et les mauvais traitements qu'ils nous ont fait subir, Formés en garde nationale, leur unique occupation consiste depuis longtemps à nous poursuivre, À nous piller et à nous fusil- ler! Je puis vous assurer que jamais its n'ont fait grâce à un seul des chouaus tombés entre leurs mains. Vous devez com-


prendre combien ce bourg campé au beau milieu de notre chouannerie présentait d'inconvénients et de dangers pour nos opérations,

Profitant des amitiés qu'ils avaient conservées avec quel- ques-unes de n0s femmes, leurs parentes, ils nous espion naient sans cesse, el lombaient sur nous dès qu’ils nous sa- vaient inférieurs en force, et hors d'état de leur résister! Ils peuvent se vanter de nous avoir fait bien du mal, mais l'heure de la vengeance vient de sonner, Coquerean à juré de les exterminer tous, et Goquereau n’a Jamais encore manqué à sa parole.

J'aurais bien voulu interrozer le paysan sur le compte de Coquereau, mais la crainte d'éveiller de nouveau ses soup- çous en lui apprenant que je n'avais jamais encore entendu parler de ce chef, qui me paraissait fort populaire, me relint.

— Comment ge fait-il, lui dis-je, que Coquereau ait pu s'emparer de Saiot-Laurent-des-Mortiers ? Les habitants de- vaient se Lenir sur leurs gardes.

— Ils ne se doutaient pas que l’on viendrait les attaquer aujourd'hui dimanche. Coquereau les a surpris à la munici- palité, pendant qu'ils étaient occupés à lire les journaux et les décrets révolutionnaires; il les lient tous à présent en sa


sous été témoin de celte surprise ?

.— Hélas! non, Je n'ai appris cel heureux événement qu'il ÿ a deux heures à peine, et j'accours avec la crainte que tout ne soit déjà terminé.

— Qu'entendez-vous par ces mots : Que tout ne soit déjà terminé?

— Eh bien! qu'on n'ait détruit toutes ces vipères, donc!

— Quoi! vous croyez que Cuquereau fera fusiller ous Les habitants de Saint-Laurent ?

— Vous ne connaissez donc pas Coquereau ? me demanda le paysan avec méfiance.

— Certes, si je le connüis, beaucoup même, mais seule- ment de répulalion,

.— Alors si vous le connaissez, pourquoi m'avez-vous adressé celte question ?

— C'est qu'il,me semble que Coquereau lui-même recit- Igra devant une si lerrible justice !

— Il reculerait que nous nous passerions de lui, me dil le paysan d'un air sabre et les yeux brillants de colère. Sa- vez-vous bien que moi, qui vous parle, j'ai eu,mes deux jeunes frères assassinés par les gardes nationaux de Baint-

aurent-des-Mortiers,. Croyez-vous que l'on onblic ces cho- ses-la! Je vous répète que si cela n'est pas déjà fuit, ces palauds périront tous-l,.,

Celle réponse me causa une impression fort désagréable, car elle me promettait un drame sanglant, plein de déses- poir, d'atrocités et-de larmes; toutefois, ne pouvant reculer, je dus me résigner au spectacle qui m'allendait.

Ilélas ! ce spectacle vint nous trouver lui-même ?-à,peine avions-nous fait cinq cents pas depuis que notre guide nous avait annoncé les intentions sanguinaires qui l'animaient, que nous vimes déboucher devant nous, à un coude formé par la roule, une longue et lugubre procession composée de fous des habitants du bourg surpris, qui, attachés deux à deux, s’avonçaient à pas lents entre une double haie de éhonans, En tête marchait un paysan à la figure dure, éuer- gique, presque faroucie : c'était Coquereau.

Au premier regard que je jetai sur ce chef redoutable, je compris, à l'expression de vengeance froide et implacable qui se lisait sur ses trails, que pas un seul: des malheureux risonniers ne serail épargaé, el mon cœur Se SCrru de’pitié et d'horreur.

La lugubre procession était suivie par une foule éplorée de femmes qui faisaient relentir les airs de eris et de sin- glots. Je regardai Lucile; son visage impassible ne: trahis- Sail aucune émotion : celte insensibilité me fut pénible. —