Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/52

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«Dès que le pelit messager fut hors de notre vue, mon compagnon s'empressa de décacheter le billet.

== Ah! mon Dieu! s’écria-t-il'en pâlissant, M. Jacques à été blessé mortellement à et il supplie cette infâme Lucile d’accourir recevoir son der- nier soupir !

Cette tragique nouvelle me causa une doulourens: sion, Je m’empressa


impres- de prendre connaissance du billet écrit ne main tremblante par M. Jacques ; il donnait à Lucile l'iinéraire à suivre pour arriver jnsqu’au soulerrain, situé près de Juvardeil, où il s'était réfugié.

— Il p'y a pas à hésiter, me dit vivement Anselme, il faut que lu parles de suite sans perdre une heure, une mi- nue,

— Oui. Auselme, {u 88 raison,

— Tu conçois qu'avec celle affreuse coquine de Lucile, il faut prendre l'avance. Qui la blessnre requé par M. Jac- ques n'est pas la conséquence d'une nouvelle trahison de cette infème?

— Tu as raison, Anselme : les moments sont précieux ! On ne saurait averlir trop tôt M, Jacques du danger qu'il court en plaçant sa confiance dans l’amie de Kernoc,

— Ah! cher ami, garde-toi bien de faire une pareille chose! s'écria Anselme avec vivacité; veille sur M. Jacques avec sollicitude, mais n’empoisonne pas sa dernière heure par une révétali affreuse! Qu'il meure au moins, — si tout espoir est perdu pour lui, — avec la douce peu: d'avoir été aimé! Oui, je conçuis que cela le révolie, conli- nua Anselme en remarquant un mouvement d'indignation éont je ne fus pas maitre, mais réfléchis donc qu'il importe peu ici que Lucile soit ou ne soit pas dévoilée, Il ne s'agit que d'adoucir les derniers moments d'un galant homme, d'ur cœur chevaleresque el dévoué ! Le mensonge, eu cette circonstance, est un devoir,

— Hélas! tn as raison, mon ami, lui-répondis-je, ce se- n ÿ réfléchissant Troidement, un crime véritable que igmenter, quand on peut, au contraire, l'alfaiblir, l'ago- nie de ce noble jeune homme

— Ne crains rien; je ferai en sorte de trouver un pré= texte plausible pour lui expliquer l'absence de Lucile, qui doit sans doule être allée rejoindre Keruoc, et lui faire croire qu'il meurt aimé,

Une heure plus tard, mon fusil sur l'épaule et mon havre- sac garni de provisions, je me mellais en roule après avoir promis à Anselme de lui faire parvenir, le plus tôt que cela me serait possible, des nouvelles de son sauveur,

Le souterrain dans lequel M. Jacques s'était réfugié fai-

sait partie d ucien couvent saccagé en 93. Grâce aux in- dicalions précises du biilet écrit par le mouraut, je pus par- venir jusqu'à lui.

Je le trouvai conché sur de la paille, en proie à un délire affreux et qui m'apprit que tout était perdu !

Près de lui veillait un paysan que mon apparition surprit et effraya d'abord, mais qui bientôt, en apprenant mes in- tentions, fat heureux de se voir un aide.

Après une crise violente et longue, M. Jacques s'endormit d'un profond sommeil qui dura deux heure

A son réveil, ma présence lui arracha un mais à peine cus-je prononcé le nom de Lucile, qu'il me reconnut, et me Leudant une main baignée de sueur :

— Oh! parlez-moi d'elle, me dit-il vivement malgré sa faiblesse ; doit-elie bientôt venir ?

Comme je m'attendais à celte question et que j'avais pré- paré mon thème à Pavance, je pus répandre sans hésitation et de mani à ne lui donner aucun soupçon. Je m'arran- geai de façon à loi laisser croire que Lucile arriverait dans la journée du lendemain au plus tard,

— Oh! mon Dieu! s'écria-t-il alors avec une expression si pléine de ferveur et de prière, que je sentis des larmes


LUCILE.

ltaque du bourg de Danweraÿ, *

j me venir aux yeux; où! mon Diea! accordez-moi encore vingt-quatre heures d'existence!

Je voulus rassurer M Jacques sur son état, mais soil que ee mensonge jelàt du froid el de la gêne dans ma parole, soit que le moriboud eût la conscience de sa position désespérée, il resta incrédule et ne voulut accepter aucun espoir.

— Je sais bien, me dit-il, que le peu de moments qui me restent à vivre soul complés, que chaque heure qui s'écoule me rapproche d'une année de la lombe! oh! sans Lucile et ma mère que m'iwporterait la mort... mon cœur n'a jamais connu ni la haine, ni l'ambition, ni l'envie. J'ai vécu, du moins, je l'espère, selon l'Evangile, en bon chrétien, el je compte sur la miséricorde infinie de Dieu... Mais ne plis revoir ni ma pauvre mère, ni ma Lu adorée, oh ! celte idée est affreuse !...

— Lucile viendra demain, lui répondis-je afin de le cal- mer; quant à madane votre mère, elle doit saus doute avoir énrig

— Ma mère, dit-il en m'interrompant, c’est à peine si un quart d'heure de distance me sépare de son habitation.

— Quoi ! el vous ne l'avez pas avertie ?...

— Non, me répondit-il sans me laisser poursuivre, j dù lui épargner le spectacle de mon agonie et l'empêcher de se compromettre aux yeux des autorités républicaines de sa commune par le spectacle de sa douleur.

C'est celte même considération, poursuivit-il après un court repos, qui m'a fait uppeler M. Jacques. non nom, et c’est un nou sans tache, est de la Mérozières. N'imporle! M. Jacques vivra longlemps eucore dans la mémoire de mes braves Manceaux.

M. Jacques, où M. de la Mérozières, se Int alors un mo- ment el essaya de se rendormnir, mais je vis à l'allération de ses traits, quoiqu'il ne fit entendre ni une plainte, ni un eri, qu'il ressentait d’atroces douleurs, et qu'il ne devait


à ses horribles souffrances.

— Savez-vous ce qui me désespère? me di et tandis qu'une légère rougeur animait pour un moment son visage décoloré, c'est de penser que je meurs de la main d'un de mes soldats. Oh! avoir si longtemps affronté les halles des bleus et tomber sous le plomb des siens !

— Comment! que dites-vous la? m'écriai-je en sentant un frisson me passer le long du corps. Quoi! vous si bon jour eux! Vous, qui vingt fois les avez conduits à la victoire, vous seriez victime de la trahison de vos chouans!

— Oh! de leur trahison, non, me répondit-il, mais d'un accident, sans doute. N'importe! c'est bien Lrisle d'avoir st souvent présenté son frout à la mitraille, et de mourir frappé dans le dos.

Il me fallut une grande force de volonté pour ne pas lais- ser échapper l'horrible secret de la trahison de Lucile : loute- fois, j'eus le bonheur de faire céder mon iudigoatioi à l'hu manié, et je we tus. È

Rien n'ébranlera jamais ma conviction profonde que le faux Keruoc fut l in de M, Jacques.

Après un moment de silence, l'infortuné jeune homme, me fixant avec des yeux allendris el pleins de larmes, reprit la paroll

-- Que Dieu me pardonne, me dit-il, si, an moment de comparaître devant lui, mon âme est encore occupée des passions terrestres !... Je n'ai que vingt-six ans, et à cet âge les illusions sont si puissantes et si ter icesl…. L'idée qui, après la douleur que j'éprouve à me séparer de ma mère et de Lucile, me tourmente le plus est celle de penser à l'oubli qui bientôt eflacera mon nom de la mémoire des hommes ! Je ne n'en cache pas! J'avais l'ambition de la gloirel… Le rêve de ma jeunesse a été de conquérir une place dans l'histoire! Dien me punit de mon orgueil !

Je meurs sous un nom qui n’est pas nième le mien, elsans avoir pa m'élever au-dessus du rôle secondaire d'un chef


tout à coup


plus compter que sur le repos éternel pour metre un terme.