Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/7

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LUCILE. 5


lerposer entre l'Italien eL le jeune homme ; en voyant Manini terrassé, ils se jelèrent entre eux et parvinrent à les sépa- rer.

— Mon bon François ! quelle imprudence, dit le viellard en embrassant lendrement son fils, pourquoi te mettre ainsi en colère ? Ne valait-il pas mieux me laisser ‘insulter par cet homme, et ne pas l'exposer à son ressentiment, que...

asulter, mon père ! répéta le jeune homme d'une voix éclatante; oh! vous ne parlez pas sérieuse- afaud se serait dressé entre vous et moi, que cet obstacle n'eût pu m'empêcher de voler à votre secour:

— C’est ce que nous verrons sous peu, s'écria Manini qui, complètement dégrisé par l'émotion, étanchait alors le sang qui coulait sur son ge. Oh! tu auras beau le cacher, jeune homme, je finirai bien par savoir, Lôt où tard, lon nom; et je te promets que, pour allendre un peu, ton comple n'en sera pas moins réglé 1...

— Grois-tu que j'aie peur de loi, misérable! lui dit le jeune homme. Je me nomme Frauçois Loizerolles , el tu me trouveras toujours prêt à te châtier de tes insolences.

— Ah! tu te nommes François Loizerolles! répéta l'a lien avec un méchant sourire, Merci, je ne l'oublierai pas, je te le jure. -

Le Manini, prenant alors ses acolytes Jobert et Coquery par le bras, s’éloigna ment. Arrivés lous les trois à l'ex- trémité du corridor, l'Italien dit quelques mots à un guiche- tier, la grille s'ouvrit devant eux, el ils disparurent à nos regards.

— Ma loi! messieurs, s'écria Anselme, on prétend qu'un homme averti en vaut deux; ceci double nos forces, car, franchement, je crois que pas un de nous ne peut plus met- tre à présent en doute le rôle que jouent ces gredins. Ge sont des espions chargés de nous perdre.

L'émotion produite par l'épisode que je viens de rapporter apaisée, les détenus se dispersèrent, et nous relouruàmes dans notre chambre,

— Si vous voulez bien, monsieur le curé, commencer vo- tre récit, dit Auselme au déporté de la rade d'Aix, nous sommes lout oreilles.

. — Vous devinez sans doute le motif de mon arresl. nous demanda notre nouveau compagnon; je n° voulu prêter Le serment sacrilége que l'on a exigé du clergé!

— Êt vous avez bien fait, monsieur le curé ! s'écria An- selme avec feu. Puisque aujourd'hui les honnètes gens, faute d'entente et de chets, sont incapables et hors d'état de se défendre, c'est bien le moins qu'ils sachent sacrifier leur vie à leur devoir. Mais, pardon ! Voilà que je vous interromps dès votre début. Poursuivez, je vous prie : je ne souffle plus mot.

— Nous fûmes arrêtés, reprit le prêtre insermenté, au nombre de quarante, dans mon département, On nous an- nonça que nous devions être déportés en Afrique. Nous ac- ceplämes, sans murmurer, celle dure épreuve que Dieu nous envoyail. Nous 2spérions, sans nous illusionner touiefois sur les dangers à ÿc% près insurmontables qui nous attendaient, pouvoir faire Lourrer au profit de la religion et de la civilisa tion la persécution qui nous frappait, et utiliser nos souffran- ces. Hélas ! que cette illusion devait être de courte durée!

Je ne m'appesantirai pas sur les incidents qui marquèrent notre roule à lravers la France : supposez les vexations les plus odieuses, les traitements les plus barbares, les souffran- les plus intolérables el vous aurez encore à peine une idée des maux que nous eûmes à endurer, Toutefois, je ne puis passer sous silence un épisode dramalique et sanglant, qui signala notre passage à Limoges. C’est là une page in- time de notre irisle époque, qui doit, monsieur, puisque ne comptez. en écrire l'histoire, vous offrir un grand in-

érêt.

Lursque nous arrivâmes à Limoges, nous nous trouvions, car On nous avait adjoint tout le long de la route de nou- Veaux Compagnons d'inforlune, au nombre de quatre-vingts,

A l'entrée de la ville et en dehors des portes , nous aper- Ces la mullitude qui ous attendait ; comme ‘nous étions déjà habitués à voir le rebut des populations se presser à


notre rencontre pour jouir du spectacle de nos souffrances et nous insulter, nous ne donnèmes pas d’abord une grande allention à ce rassemblement, Toutefois, à mesure que nous avançions, la foule prenait de telles proportions à nos yeux, devenait si intense, qu’elle finit par appeler notre attention et exciter nos craintes. En effet, il n'était guère possible de * supposer qu'une telle agglomération de monde fût produite par la seule annonce de notre arrivée, Nous pressentions qu'un événement extraordinaire allait se passer. Hélas !nous ne nous trompions pus.

Nous touchions presque déjà aux portes de la ville, lors que la foule, s'écartant tout à coup devant nous, nous laissa apercevoir un grotesque et sacrilége spectacle qui nous frappa d'indignation et d'horreur,

Nous vimes une grande quantité d’ânes el de boucs cou- verts d'habits sacerdotaux, qui s’avançaient en une longue file à notre rencontre. Un énorme cochon, revèlu également d'ornements sacerdotaux, fermait la marche de celle igno- ble mascarade. Une mitre, fixée sur la tête de ce dernier animal, portait écrit en gros caractères : « Le Pape. » Ces détails doivent, en soulevant votre dégoût, vous paraître exagérés sans doute? Je puis vous donner ma parole d’hon- neur que je vous les rapporte avec la plus scrupulense véra- cité.

L'oficier municipal qui présidait celte fêle impie, dont il était, nous l'apprimes plus tard, l'inventeur, ft arrêter les charrettes où nous nous lrouvions, et nous ordonna de des- cendre. Notre escorte, loin de nous protéger, s’empressa au contraire de prêler main-forte à l'officier municipal, et tomba sur nous à coups de plats de sabre pour stimuler no- tre obéissance,

Toute résistance était impossible ; nous dûmes nous sou- meltre ! À peine avions-nous mis pied à terre, que, sur l'or- dre de l'oïlicier municipal, nous dûmes entrer deux à deux dans les rangs des animaux travestis. La procession sacrilége, ainsi grossie par notre présence, se remit en marche, et fit pompeusement son entrée dans la ville.

À quoi bon parler des cris, des huées, des insultes qui nous accueillirent pendant que nous traversämes la ville? Ces outrages ne nous Louchaient pas el nous ÿ étions insen- sibles, Nous mwes Dieu pendant ce long trajet pour nos bourreaux, el c'était nous qui prenions en compassion les malheureux qui, égarés par la frayeur, et craignant pour leur existence, s'ingéniaient à nous lourmenter par tous les moyens possibles, afin de faire remarquer leur zèle par les sans-culolles el les puissants de Limoges.

Lorsque la hideuse procession à laquelle on nous forçait de prendre part arriva sur la place principale, un doux es- poir fit battre nos cœurs! Nous venions d’apercevoir l’écha- faud, et nous espérions monter au ciel !

Après un moment de confusion qui s'opéra dans nos rangs, el dont les malheureux égarés profitèrent pour nous jeter de la boue et des pierres, on nous rangea autour de l'instrument de supplice.

Alors apparut la gendarmerie de la ville, conduisant un prêtre non assermenté, que le tribunal révolutionnaire de Limoges avait condamné la veille à la peine de mort,

Un grand silence se fit, et le bourreau, élevant la voix, laissa Lomber ces mals sinistres du haut de l'échafaud : « toyens, il me manque un aide pour l'exécution du calollin ; quel est le patriote qui se présente ? »

A celte hideuse demande, plus de mille « moi » partirent, - la vérité m'oblige, hélas! à consigner ce détail, — du sein de la foule; mais ce n'était point là le compte de l'off- cier municipal :

— Silence, je demande la parole, s'écria-t-il en s'élan- çant sur escalier de la gnillotine, Citoyens, poursuivit-il lorsque le calme se fut rétabli, je conçois que chacun de vous brigue l’honneur insigne de concourir à assurer la jus- lice du peuple. Une préférence ferait trop de jaloux. Nous refusons voire patriotique concours, et, connaissant combien ces excellents calotlins pratiquent la maxime chrétienne : «Il faut aïder son frère el son prochain, » mous allons choi- sir l'un d’eux pour concourir à l'exécution du connahle Ce