Page:Dupuy - La vie d'Évariste Galois.djvu/24

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le manifeste des journalistes, et que, par delà les hautes murailles du Plessis, il entendit les premiers coups de feu !

S’il n’avait tenu qu’à lui, il serait aussitôt descendu dans la rue. Il en fit assurément la proposition à ses camarades ; mais, bien qu’aucun d’eux n’approuvât les Ordonnances, l’accord était loin de régner entre eux sur la conduite qu’il convenait de tenir dans ces circonstances critiques. Bien peu osaient reporter d’un bond leur pensée aux souvenirs de la grande Révolution ; hormis lui, et peut-être deux ou trois autres, il n’y avait pas de républicains à l’École préparatoire ; l’opposition doctrinaire était presque l’unique maîtresse de ces jeunes esprits, et elle n’avait pas prévu la violence. Depuis les élections le Globe s’évertuait à deviner les péripéties probables de la bataille parlementaire, sans avoir risqué aucune hypothèse extra-constitutionnelle ; une fois les Ordonnances rendues, ceux que pouvaient arrêter des scrupules de légalité devaient reconnaître qu’au moins la dissolution de la Chambre des députés n’était pas contraire à la Charte ; c’était la thèse que Casimir-Périer soutenait de toutes ses forces, et si son avis avait prévalu, la Révolution aurait avorté. Il n’était donc pas surprenant que des pensées analogues se fussent insinuées dans l’esprit de beaucoup d’élèves de l’École préparatoire ; elles étaient favorisées, d’autre part, par l’état moral de l’École. La suppression de l’École Normale avait rompu toute tradition ; aucune n’avait eu le temps de s’établir depuis 1826 ; les élèves étaient trop peu nombreux pour se sentir bien hardis, et Galois apparaissait à la plupart d’entre eux comme un cerveau brûlé ; déjà fonctionnaire à demi par son engagement décennal, chacun sentait son avenir à la merci de ses chefs, et l’intérêt individuel s’opposait sans cesse à la naissance de l’esprit de corps ; de temps à autre il y avait quelques poussées de fraternité où l’on s’essayait à l’opposition, mais sans la franchise d’allure des révoltes de collégiens ; une fois l’expansion passée, beaucoup songeaient à se faire pardonner dans le particulier la turbulence des démarches communes[1], et, en tout cas, de l’aveu même de M. Guigniault, le directeur des études, quelques-uns des élèves étaient les confidents de ses plus secrètes pensées. Rien de pareil à l’École Poly-

  1. Gazette des Écoles.