Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/121

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Ils se sont promis de s’épouser, et le jeune homme doit venir demain. Ils ne seront vus que le jour, au fond du parc.

— Mais je réfléchis, dit le président, voilà qui me paraît une trame bien ourdie. Je jurerais que ce garçon est un petit roué qui a joué une vilaine comédie. Remarquez cette ostentation, cette affectation de venir le jour, c’est-à-dire dans les meilleures conditions pour être vu. J’insiste là-dessus. Il n’est pas venu une seule fois la nuit, en effet ; ce lui eût été inutile, remarquez-le bien. Les visites de jour pouvaient seules compromettre publiquement Henriette, il s’en tient à celles-là. Il donne son portrait. Il attend deux mois. Je lis tout cela comme si c’était écrit. Sans doute Henriette le presse de demander sa main ; il ajourne ; il sait que se présenter directement, c’est échouer ; il calcule…

— En effet, s’écria madame Gérard, je vois le piège. Cet homme espérait nous forcer à lui donner Henriette ; c’est odieux ! »

Cette sagacité de magistrat, cette manière d’envisager la situation d’après les traditions de la cour d’assises apporta à tout le monde une révélation. La honteuse perfidie d’Émile fut claire et évidente.

L’oncle Corbie murmura :

« Quel coquin ! »

Aristide s’écria en son langage inélégant qu’il regrettait de ne lui avoir pas donné une roulée.

« Comment comptez-vous vous y prendre ? demanda Pierre à sa femme.

— Je recevrai ce petit monsieur, je le prendrai par les sentiments d’honneur, si toutefois il en a, et je le mettrai poliment à la porte. Quant à elle, on lui dira qu’il n’en veut plus, et dans quinze jours elle n’y pensera plus, surtout si on l’occupe du mariage et si on lui en montre un autre. Il faudrait d’ailleurs qu’elle eût bien peu de cœur pour y tenir encore, quand nous lui aurons dévoilé les jolies combinaisons de ce petit drôle. »

Pierre réfléchit, puis il dit :

« Nous verrons si cela réussira. Du reste, je ne demande pas mieux qu’on la marie tout de suite.