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CHAPITRE VIII


les difformes


Corbie avait annoncé qu’il irait voir son ami Mathéus, et, en attendant la diligence, le matin, il se tenait devant la porte du café de Bourgthéroin, fumant sa pipe et ruminant ses colères. La grande rue du village était une route toute grise de poussière, bordée de maisons basses n’ayant qu’une porte et deux ou trois fenêtres. De loin en loin des haies vives gardaient un jardin, d’où se penchait au dehors un arbre fruitier tortu ; quelques gros ormes restaient dans la route ; un banc de pierre entourait le plus beau, près duquel se trouvait, comme au fond d’une petite baie, un grand puits, recouvert d’un beau chapeau en tuiles. Des charrettes, des auges, des paniers, un peu de fumier, le long des maisons, servaient de retraites, de châteaux-forts, de lits, de monde, à des bandes d’enfants blonds, aux joues rouges et brunes, vivant en bonne amitié avec les poules, les chiens et les ânons.

L’intérieur du petit café, tapissé d’un papier vert maculé de taches jaunes produites par l’humidité, était tout à fait sombre. On avait arrosé le carreau, et il y faisait frais. Ce café ne contenait que quatre tables en bois vert, un petit billard recouvert de sa housse en coutil gris rayé, et le tableau d’ardoise pour marquer les carambolages. Sur le comptoir se tenaient paisibles un bol de punch, deux carafons d’eau-de-vie, des petites cuillers dans une soucoupe, le bonnet bleu de la mère Mathieu, un livre de compte bien mince et un gros chat à demi endormi. Le plafond était enfumé par les lampes, et il