Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/150

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— Eh bien !

— Il me semble que je m’amuserais toujours.

— Ma foi, c’est plutôt un fardeau. Vous ne savez pas que c’est. Ah ! si j’avais trente ans ! »

Corbie jeta aussitôt dans la glace un coup d’œil pour se comparer à Mathéus. Les glaces de la Charmeraye étaient bénies pour lui, parce qu’il s’y voyait réellement tout jeune à côté de son ami, qui n’avait cependant que huit ans de plus.

— Eh bien ! si vous aviez trente ans ! reprit-il.

— Bah ! n’y pensons pas, répondit Mathéus, le passé est passé ; mais une chose certaine, c’est qu’il est terrible de vivre seul. Il vient un âge où on a besoin d’avoir quelqu’une à côté de soi. Je songeais à cela surtout ce matin. Je devrais me marier… oui, il faut que je me marie ! »

Corbie fut tellement frappé de trouver là un homme qui cherchait une femme, tandis qu’aux Tournelles il y avait une fille pour qui on attendait un mari, qu’il demeura un moment troublé, ayant de la peine à débrouiller les confusions de son esprit. La grande pensée qui surmonta toutes les autres fut celle-ci : Henriette ne peut pas être heureuse avec Mathéus. Puis une seconde s’éleva avec presque autant de force : Henriette verra quelle différence il y a entre lui et moi. Puis une troisième vint mettre une couleur plus douce et moins égoïste sur les deux précédentes : Mathéus est riche, elle y trouvera son avantage !

Mathéus dit à Corbie :

« Vous êtes étonné ; que voulez-vous ? S’il y avait ici une femme, il est probable que mes affaires seraient tenues en meilleur ordre. D’ailleurs les soins ! une compagnie qui ne me ferait jamais faute ! et moi qui ai toujours préféré la conversation des femmes à celle des hommes.

— Vous n’étiez pas difficile, dit Corbie en riant très finement.

— Oh ! reprit Mathéus, n’y entendez pas malice : je parle du son de la voix et du tour des idées. Après tout, vous pouvez cependant avoir raison : c’est un péché de nature, une femme me séduit toujours. La vie en commun a de grands agré-