Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/190

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fliges plus nos regards de ces mines désespérées, de ces bouderies puériles.

— Mais, dit Henriette, je ne demande qu’à rester dans ma chambre.

— Nous ne voulons pas que ta tête se trouble dans la solitude, ni que tu aies l’air de dresser une accusation contre nous chaque jour, en t’isolant, ou que tu donnes un spectacle ridicule aux domestiques et aux gens qui peuvent passer dans les couloirs, par tes sanglots et tes soupirs, qui ont la cause la plus futile. Quand il vient des étrangers et qu’on demande où tu es, nous ne pouvons pas répondre : Elle pleure, elle se désole. Pourquoi ? Parce que nous l’avons sauvée malgré elle. »

Henriette soupira et dit :

« On aura toujours raison contre moi.

— Raison pour toi, tu veux dire, reprit madame Gérard. Ton père est fort peu satisfait. Tu n’ambitionnes pas d’autre genre de vie que de nous contrarier, de nous être désagréable. Ton dépit est absurde et inconvenant.

— Ah ! dit Henriette, terrifiée de cette manière d’envisager ses tourments, et humiliée qu’on n’attachât aucune importance à ses sentiments, qu’on ne leur reconnût aucune racine, je ne suis pas de ceux qui cherchent à jouer un rôle. Si on pense que je fais une comédie, je changerai, mais qu’on n’exige pas de moi de la gaité, cela m’est impossible.

— Nous voulons que tu sois simple et convenable, voilà tout, et que tu ne mettes pas la maison à l’envers. »

Il parut si odieux à Henriette d’être accusée d’affectation, qu’elle résolut de cacher ses agitations ; et puis elle fut ébranlée. « Ils n’ont peut-être pas tort, se dit-elle. Si Émile ne voulait que s’amuser, je dois le mépriser. Il est peut-être inutile de s’entêter à le croire sincère et fidèle, puisque tout dit le contraire.

« Si on avait vu en lui une réelle affection pour moi, ils ne feraient pas ce qu’ils font ; ils me comprendraient, ils ne prendraient pas légèrement mon inquiétude ; ils s’alarmeraient, ils me consoleraient. Ils ont l’air de n’y plus songer et