— Oh ! dit le président, cela a été pour moi une étude de dextérité. Je serai bien étonné si je ne lui ai point déposé dans la tête des germes qui grandiront ; mais l’entêtement est, sur le moment, en raison directe des efforts qu’on fait pour le vaincre
— Ah ! que d’embarras ! et il ne faut pas que j’aie la réputation d’une madame Barbebleue
— Il est fâcheux, reprit M. de Neuville, que Mathéus soit si passif !
— Henriette finira par être ravie de tourner la tête à ce pauvre homme, j’en suis sûre, j’y arriverai !
— Oui, mais le temps ! le temps !
— Nous avons là une forte corvée, cher ami.
— Je me chargerais bien de la réduire en trois mois.
— Il faudra bien qu’elle cède avant la fin de celui-ci ! » dit madame Gérard.
Le soir, le curé apprit à madame Gérard qu’on avait rencontré Émile et qu’il était guéri. Elle se mordit les lèvres.
« Alors, monsieur le curé, dit-elle, nous passerons un ou deux dimanches sans aller à la messe : ce jeune homme n’aurait qu’à se mettre sur le chemin pour se faire voir de ma fille. »
Le lendemain, qui était le dimanche, Henriette fut très surprise en voyant qu’on restait aux Tournelles ; déjà elle ne comprenait pas pourquoi les dimanches précédents elle n’avait pas rencontré Émile en allant à l’église. Vers midi, madame Baudouin arriva avec des cartons de toute espèce, et accompagnée de deux femmes qui étaient des marchandes du chef-lieu. Elles étalèrent, avec madame Gérard, sur la table du salon, des étoffes, des dentelles, des boîtes, et la grosse Baudouin alla chercher Henriette en lui disant : « Venez donc, ma petite belle, venez voir les commencements de la corbeille ! »
La jeune fille fut frappée de cette annonce inexorable dans sa simplicité, et qui attestait qu’on ne s’arrêtait pas aux protestations d’Henriette. Ce mariage devenait effrayant, en se formant ainsi peu à peu et s’avançant irrésistiblement sans secousse, sans violence.