Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/82

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Corbie montra de la défiance sur sa physionomie, et dit avec assez d’à propos :

« Ajoutez à mon caractère que je ne fais pas de malices, d’épigrammes. Je suis un homme bon, pratique, observateur, rêveur…

— Mais, dit Henriette, pourquoi venez-vous perdre ce panégyrique au fond d’un bois. C’est au bal, devant les jeunes personnes, et monté sur une chaise, qu’il faudrait dire cela. »

Corbie répondit :

« J’aime beaucoup votre esprit, ma chère Henriette. Ainsi, vous croyez donc qu’un pareil caractère ne m’éloigne pas trop d’une imagination de jeune fille.

— C’est selon la jeune fille, dit Henriette ; mais vous voulez donc vous marier ?

— Justement.

— Et depuis quand ?

— Oui, dit Corbie qui se troublait de nouveau.

— Que vous a-t-on dit à table ?

— Je n’en ai pas parlé.

— Qu’est-ce que j’y peux donc !

— Avant tout, je voulais vous consulter.

— Ma mère serait plus en état que moi de vous conseiller. »

Corbie lui prit galamment la main et dit :

« Vous me connaissez, vous m’avez toujours témoigné de l’affection. J’ai 4,000 livres de rente. Cela ne sortira pas de la famille. Nous vivrons tous ensemble ; vous comprenez que je devais vous consulter la première.

Henriette était abasourdie et ne savait pas si elle comprenait ; elle restait comme hébétée en face de son oncle.

« Il fallait bien vous le dire comme cela, reprit Corbie ; me voulez-vous pour votre mari ?

— Moi ! » s’écria Henriette, comme si elle eût marché sur un crapaud.

Corbie commençait à se décontenancer.

« Une jeune fille de dix-huit ans avec un homme de cinquante-cinq ans, un oncle ! » ajouta Henriette, qui avait envie de se sauver et qui semblait se trouver en présence d’une énormité inimaginable.