Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’autre, puissent s’unir et former un tout, il faut que l’une d’elles subisse la loi de l’autre. C’est naturellement à l’État que Treitschke accorde le droit d’exercer cette action prépondérante ; car, suivant lui, l’État est comme le principe vital de la société.

Il est vrai que, de nos jours, une conception différente tend de plus en plus à s’accréditer. Nombre d’historiens professent que l’État est plus une résultante qu’une cause ; que les événements où il joue le premier rôle, guerres, négociations diplomatiques, traités de toutes sortes sont ce qu’il y a de plus superficiel dans la vie sociale ; que les vrais facteurs du développement historique, ce sont les idées et les croyances, la vie économique, la technique, l’art, etc. On dit que la place des peuples dans le monde dépend, avant tout, de leur degré de civilisation. Mais, suivant Treitschke, cette façon d’entendre l’histoire serait contraire à tout ce que l’histoire elle-même nous enseigne : ce qui a fait la grandeur des nations dans le passé, c’est leur activité politique, c’est la manière dont l’État s’est acquitté de ses fonctions. « Il n’y a pas de peuple dont les actes aient eu une influence aussi durable que les Romains, et cependant les Romains n’ont été supérieurs ni en art ni en littérature ; ils ne se sont pas davantage distingués en matière d’invention. Horace et Virgile ne font que traduire en latin la poésie grecque. Mais les Romains furent un des peuples les plus redoutables qu’ait connus l’histoire universelle[1]. » Au contraire, quand une société met la vie économique ou artistique au premier plan de ses préoccupations, « elle tombe sous la dépendance des penchants inférieurs de notre nature ». C’est le cas de la Hollande à partir du moment où elle cessa de lutter contre la puissance mondiale de l’Espagne[2]. De même, quand, au XVIIIe siècle, les intérêts artistiques et littéraires devinrent prépondérants en Allemagne, l’Allemagne « retomba du ciel sur la terre[3] ». « Ce sont les hommes d’État et les chefs d’armée qui sont les

  1. I, p. 65.
  2. I, p. 59.
  3. I, p. 60.