Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/18

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le mariage, par exemple, ou dans la famille, ou dans la religion, ce sont les besoins individuels auxquels sont censées répondre ces institutions : c’est l’amour paternel, l’amour filial, le penchant sexuel, ce qu’on a appelé l’instinct religieux, etc. Quant aux institutions elles-mêmes, avec leurs formes historiques, si variées et si complexes, elles deviennent négligeables et de peu d’intérêt. Expression superficielle et contingente des propriétés générales de la nature individuelle, elles ne sont qu’un aspect de cette dernière et ne réclament pas une investigation spéciale. Sans doute, il peut être curieux, à l’occasion, de chercher comment ces sentiments éternels de l’humanité se sont traduits extérieurement aux différentes époques de l’histoire ; mais comme toutes ces traductions sont imparfaites, on ne peut pas y attacher beaucoup d’importance. Même, à certains égards, il convient de les écarter pour pouvoir mieux atteindre ce texte original d’où leur vient tout leur sens et qu’elles dénaturent. C’est ainsi que, sous prétexte d’établir la science sur des assises plus solides en la fondant dans la constitution psychologique de l’individu, on la détourne du seul objet qui lui revienne. On ne s’aperçoit pas qu’il ne peut y avoir de sociologie s’il n’existe pas de sociétés, et qu’il n’existe pas de sociétés s’il n’y a que des individus. Cette conception, d’ailleurs, n’est pas la moindre des causes qui entretiennent en sociologie le goût des vagues généralités. Comment se préoccuperait-on d’exprimer les formes concrètes de la vie sociale quand on ne leur reconnaît qu’une existence d’emprunt ?

Or il nous semble difficile que, de chaque page de ce livre, pour ainsi dire, ne se dégage pas, au contraire, l’impression que l’individu est dominé par une réalité morale qui le dépasse : c’est la réalité collective. Quand