Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, pour illustrer sa pensée, il l’applique à une force naturelle qui tient une grande place dans la religion védique, au feu. « Essayez, dit-il, de vous transporter par la pensée à ce stade de la vie primitive où il faut, de toute nécessité, rejeter l’origine et même les premières phases de la religion de la nature ; vous pourrez aisément vous représenter quelle impression dut faire sur l’esprit humain la première apparition du feu. De quelque manière qu’il se soit manifesté à l’origine, qu’il soit venu de la foudre, ou qu’on l’ait obtenu en frottant des branches d’arbre les unes contre les autres, ou qu’il ait jailli des pierres sous forme d’étincelles, c’était quelque chose qui marchait, qui avançait, dont il fallait se préserver, qui portait la destruction avec soi, mais qui, en même temps, rendait la vie possible pendant l’hiver, qui protégeait pendant la nuit, qui servait à la fois d’arme offensive et défensive. Grâce à lui, l’homme cessa de dévorer la viande crue et devint un consommateur d’aliments cuits. C’est encore au moyen du feu que, plus tard, se travaillèrent les métaux, que se fabriquèrent les instruments et les armes ; il devint ainsi un facteur indispensable de tout progrès technique et artistique. Que serions-nous, même maintenant, sans le feu[1] » ? L’homme, dit le même auteur dans un autre ouvrage, ne peut pas entrer en rapports avec la nature sans se rendre compte de son immensité, de son infinité. Elle le déborde de toutes parts. Au-delà des espaces qu’il perçoit, il en est d’autres qui s’étendent sans terme ; chacun des moments de la durée est précédé et suivi par un temps auquel aucune limite ne peut être assignée ; la rivière qui coule manifeste une force infinie, puisque rien ne l’épuise[2]. Il n’y a pas d’aspect de la nature qui ne soit apte à éveiller en nous cette sensation accablante d’un infini qui nous enveloppe et nous

  1. Physic. Rel., p. 121 ; cf. p. 304.
  2. Natural Religion, p. 121 et suiv., p. 149-155.