Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/158

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nombre de sociétés, l’enfant a pour totem celui de sa mère, par droit de naissance : c’est ce qui arrive chez les Dieri, les Urabunna du centre de l’Australie méridionale : les Wotjobaluk, les Gournditch-Mara de Victoria ; les Kamilaroi, le Wiradjuri, les Wonghibon, les Euahlayi de la Nouvelle-Galles du Sud ; les Wakelbura, les Pitta-Pitta, les Kumandaburi du Queensland, pour ne citer que les noms les plus importants. Dans ce cas, comme, en vertu de la règle exogamique, la mère est obligatoirement d’un autre totem que son mari et comme, d’autre part, elle vit dans la localité de ce dernier, les membres d’un même totem sont nécessairement dispersés entre des localités différentes suivant les hasards des mariages qui se contractent. Il en résulte que le groupe totémique manque de base territoriale.

Ailleurs, le totem se transmet en ligne paternelle. Cette fois, l’enfant restant auprès de son père, le groupe local est essentiellement formé de gens qui appartiennent au même totem ; seules les femmes mariées y représentent des totems étrangers. Autrement dit, chaque localité a son totem particulier. Jusqu’à des temps récents, ce mode d’organisation n’avait été rencontré, en Australie, que dans des tribus ou le totémisme est en voie de décadence, par exemple chez les Narrinyeri, où le totem n’a presque plus de caractère religieux[1]. On était donc fondé à croire qu’il y avait un rapport étroit entre le système totémique et la filiation en ligne utérine. Mais Spencer et Gillen ont observé, dans la partie septentrionale du centre australien, tout un groupe de tribus où la religion totémique est encore pratiquée et où pourtant la transmission du totem se fait en ligne paternelle : ce sont les Warramunga, les Gnanji, les Umbaia, les Binbinga, les Mara, et les Anula[2].

  1. V. Taplin, The Narrinyeri Tribe, Gurr, II, p. 244-245 ; Howitt, Nat. Tr., p. 131.
  2. North. Tr., p. 163, 169, 170, 172. Il y a toutefois lieu de noter que dans toutes ces tribus, sauf les Mara et les Anula, la transmission du totem en ligne paternelle ne serait que le fait le plus général, mais comporterait des exceptions.