Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/188

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indirect et lointain qu’on ne peut l’apercevoir quand on n’est pas averti. Seuls, les membres du clan peuvent dire quel est le sens attaché par eux à telle ou telle combinaison de lignes[1]. Généralement, hommes et femmes sont représentés par des demi-cercles, les animaux par des cercles complets ou par des spirales[2] les traces d’un homme ou d’un animal par des lignes de points, etc. La signification des figures que l’on obtient par ces procédés est même tellement arbitraire qu’un dessin identique peut avoir deux sens différents pour les gens de deux totems et représenter ici tel animal, ailleurs un autre animal ou une plante. C’est ce qui est peut-être encore plus apparent dans le cas des nurtunja et des Waninga. Chacun d’eux représente un totem différent. Mais les éléments peu nombreux et très simples qui entrent dans leur composition ne sauraient donner lieu à des combinaisons bien variées. Il en résulte que deux nurtunja peuvent avoir exactement le même aspect et exprimer cependant deux choses aussi différentes qu’un arbre à gomme et un émou[3]. Au moment où l’on confectionne le nurtunja, on lui donne un sens qu’il conserve pendant toute la cérémonie, mais qui, en somme, est fixé par convention.

Ces faits prouvent que, si l’Australien est si fortement enclin à figurer son totem, ce n’est pas pour en avoir sous les yeux un portrait qui en renouvelle perpétuellement la sensation ; mais c’est simplement parce qu’il sent le besoin de se représenter l’idée qu’il s’en fait au moyen d’un signe matériel, extérieur, quel que puisse, d’ailleurs, être ce signe. Nous ne pouvons encore chercher à comprendre ce qui a ainsi nécessité le primitif à écrire sur sa personne et sur différents objets la notion qu’il avait de son totem ; mais il importait de constater tout de suite

  1. Nat. Tr., p. 145 ; Strehlow, 99, p. 80.
  2. Ibid. p. 151.
  3. Ibid. p. 346.