Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/29

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qui peuvent être pratiquement commodes, mais qui ne correspondent à rien dans les choses : c’est, par conséquent, refuser toute réalité objective à la vie logique que les catégories ont pour fonction de régler et d’organiser. L’empirisme classique aboutit à l’irrationalisme ; peut-être même est-ce par ce dernier nom qu’il conviendrait de le désigner.

Les aprioristes, malgré le sens ordinairement attaché aux étiquettes, sont plus respectueux des faits. Parce qu’ils n’admettent pas comme une vérité d’évidence que les catégories sont faites des mêmes éléments que nos représentations sensibles, ils ne sont pas obligés de les appauvrir systématiquement, de les vider de tout contenu réel, de les réduire à n’être que des artifices verbaux. Ils leur laissent, au contraire, tous leurs caractères spécifiques. Les aprioristes sont des rationalistes ; ils croient que le monde a un aspect logique que la raison exprime éminemment. Mais pour cela, il leur faut attribuer à l’esprit un certain pouvoir de dépasser l’expérience, d’ajouter à ce qui lui est immédiatement donné ; or, de ce pouvoir singulier, ils ne donnent ni explication ni justification. Car ce n’est pas l’expliquer que se borner à dire qu’il est inhérent à la nature de l’intelligence humaine. Encore faudrait-il faire entrevoir d’où nous tenons cette surprenante prérogative et comment nous pouvons voir, dans les choses, des rapports que le spectacle des choses ne saurait nous révéler. Dire que l’expérience elle-même n’est possible qu’à cette condition, c’est peut-être déplacer le problème ; ce n’est pas le résoudre. Car il s’agit précisément de savoir d’où vient que l’expérience ne se suffit pas, mais suppose des conditions qui lui sont extérieures et antérieures, et comment il se fait que ces conditions sont réalisées quand et comme il convient. Pour répondre à ces questions, on a parfois imaginé, par-dessus les raisons individuelles, une raison supérieure et parfaite dont les premières émaneraient et de qui elles tiendraient par une sorte de participation mystique, leur merveilleuse faculté : c’est la raison divine. Mais cette