Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/325

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ringa sur lesquels sont généralement gravées des combinaisons de lignes qui ont la même signification. Ce sont les décorations qui recouvrent les différentes parties de son corps et qui sont autant de marques totémiques. Comment cette image, partout répétée et sous toutes les formes, ne prendrait-elle pas dans les esprits un relief exceptionnel ? Ainsi placée au centre de la scène, elle en devient représentative. C’est sur elle que se fixent les sentiments éprouvés, car elle est le seul objet concret auquel ils puissent se rattacher. Elle continue à les rappeler et à les évoquer, alors même que l’assemblée est dissoute ; car elle lui survit, gravée sur les instruments du culte, sur les parois des rochers, sur les boucliers, etc. Par elle, les émotions ressenties sont perpétuellement entretenues et ravivées. Tout se passe donc comme si elle les inspirait directement. Il est d’autant plus naturel de les lui attribuer que, comme elles sont communes au groupe, elles ne peuvent être rapportées qu’à une chose qui lui soit également commune. Or l’emblème totémique est seul à satisfaire à cette condition. Par définition, il est commun à tous. Pendant la cérémonie, il est le point de mire de tous les regards. Tandis que les générations changent, il reste identique à lui-même ; il est l’élément permanent de la vie sociale. C’est donc de lui que paraissent émaner les forces mystérieuses avec lesquelles les hommes se sentent en rapports, et on s’explique ainsi qu’ils aient été amenés à se représenter ces forces sous les traits de l’être, animé ou inanimé, dont le clan porte le nom.

Ceci posé, nous sommes en état de comprendre tout ce qu’il y a d’essentiel dans les croyances totémiques.

Puisque la force religieuse n’est autre chose que la force collective et anonyme du clan, et puisque celle-ci n’est représentable aux esprits que sous la forme du totem, l’emblème totémique est comme le corps visible du dieu. C’est donc de lui que paraissent émaner les actions, ou bienfaisantes ou redoutées, que le culte a pour objet de provoquer