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V

Mais si cette théorie du totémisme nous a permis d’expliquer les croyances les plus caractéristiques de cette religion, elle repose elle-même sur un fait qui n’est pas encore expliqué. Étant donné la notion du totem, emblème du clan, tout le reste suit ; mais il reste à rechercher comment cette notion s’est constituée. La question est double et peut se subdiviser ainsi : 1° qu’est-ce qui a déterminé le clan à se choisir un emblème ? 2° pourquoi ces emblèmes ont-ils été empruntés au monde animal et végétal, mais plus particulièrement au premier ?

Qu’un emblème soit, pour toute espèce de groupe, un utile centre de ralliement, c’est ce qu’il est inutile de démontrer. En exprimant l’unité sociale sous une forme matérielle, il la rend plus sensible à tous et, pour cette raison déjà, l’emploi des symboles emblématiques dut vite se généraliser une fois que l’idée en fut née. Mais de plus, cette idée dut jaillir spontanément des conditions de la vie commune ; car l’emblème n’est pas seulement un procédé commode qui rend plus clair le sentiment que la société a d’elle-même : il sert à faire ce sentiment ; il en est lui-même un élément constitutif.

En effet, par elles-mêmes, les consciences individuelles sont fermées les unes aux autres ; elles ne peuvent communiquer qu’au moyen de signes ou viennent se traduire leurs états intérieurs. Pour que le commerce qui s’établit entre elles puisse aboutir à une communion, c’est-à-dire à une fusion de tous les sentiments particuliers en un sentiment commun, il faut donc que les signes qui les manifestent viennent eux-mêmes se fondre en une seule et unique résultante. C’est l’apparition de cette résultante qui avertit les individus qu’ils sont à l’unisson et qui leur fait prendre conscience de leur unité morale. C’est en pous-