Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/366

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ou même un seul[1]. Cet être unique, tant qu’il resta ainsi solitaire, contenait en soi l’intégralité du principe totémique, puisque, à ce moment, il n’existait encore rien à quoi ce principe ait pu se communiquer. Or, suivant la même tradition, toutes les âmes humaines qui existent, et celles qui animent présentement les corps des hommes et celles qui, actuellement inemployées, sont en réserve pour l’avenir, seraient issues de ce personnage unique ; elles seraient faites de sa substance. En se mouvant sur la surface du sol, en s’agitant, en se secouant, il les aurait fait sortir de son corps et les aurait semées dans les divers lieux qu’il passe pour avoir traversés. N’est-ce pas dire, sous une forme symbolique, que ce sont des parcelles de la divinité totémique ?


Mais cette conclusion suppose que les tribus dont il vient d’être question admettent la doctrine de la réincarnation. Or, selon Strehlow, elle serait ignorée des Arunta, c’est-à-dire de la société que Spencer et Gillen ont le plus longtemps et le mieux étudiée. Si, dans ce cas particulier, ces deux observateurs s’étaient à ce point mépris, tout l’ensemble de leur témoignage devrait être considéré comme suspect. Il importe donc de déterminer la portée réelle de cette divergence.

D’après Strehlow, l’âme, une fois définitivement affranchie du corps par les rites du deuil, ne se réincarnerait plus à nouveau. Elle s’en irait à l’île des morts, où elle passerait les jours à dormir et les nuits à danser, jusqu’à ce qu’il ait plu sur la terre. À ce moment, elle reviendrait au milieu des vivants et jouerait le rôle de génie protecteur auprès des fils en bas âge, ou, à leur défaut, auprès des petits-fils que le mort a laissés derrière lui ; elle s’introduirait dans leurs corps et en faciliterait la croissance. Elle resterait

  1. C’est le cas chez les Warramunga et les tribus parentes, Walpari, Wulmala, Worgaia, Tjingilli (North. Tr., p. 161), et aussi chez les Umbaia et les Gnanji (North. Tr., p. 170).