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chants rituels que les femmes ne doivent pas entendre sous peine de mort[1]. Elles peuvent percevoir le bruit des bull-roarers, mais seulement à distance. Tout nom propre est considéré comme un élément essentiel de la personne qui le porte ; étroitement associé dans les esprits à l’idée de cette personne, il participe des sentiments qu’elle inspire. Si donc elle est sacrée, il est lui-même sacré. Aussi ne peut-il être prononcé au cours de la vie profane. Il y a, chez les Warramunga, un totem qui est particulièrement vénéré ; c’est le serpent mythique appelé Wollunqua : son nom est tabou[2]. Il en est de même de Baiame, de Daramulun, de Bunjil : la forme ésotérique de leur nom ne peut être révélée aux non-initiés[3]. Pendant le deuil, le nom du mort ne doit pas être mentionné, au moins par ses parents, sauf quand il y a absolue nécessité et, même dans ce cas, on doit se borner à le chuchoter[4]. Cette interdiction est souvent perpétuelle pour la veuve et pour certains proches[5] 6.[6]. Chez quelques peuples, elle s’étend même au-delà de la famille ; tous les individus qui portent le même nom que le défunt sont tenus d’en changer temporairement[7]. Il y a plus : les parents et les intimes s’interdisent parfois certains mots de la langue usuelle, sans doute parce qu’ils étaient employés par le mort ; on comble ces lacunes au moyen de périphrases ou d’emprunts faits à quelque dialecte étranger. Outre leur nom public et vulgaire, les hommes en portent un autre qui est tenu secret : les femmes et les enfants l’ignorent ; jamais il n’en est fait usage dans la vie ordinaire. C’est qu’il a un caractère

  1. , Nat. Tr., p. 581.
  2. Howitt, North. Tr., p. 227.
  3. Voir plus haut, p. 412.
  4. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 498 ; North. Tr., p. 526 ; Taplin, Narrinyeri, p. 19.
  5. Howitt, Nat. Tr., p. 466, 469 et suiv.
  6. Wyatt, Adelaide and Encounter Bay Tribes, in Woods, p. 165.
  7. Howitt, Nat. Tr., p. 470.