Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/523

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nullement indispensables au succès. Ce qui prouve bien, d’ailleurs, qu’elles réagissent pas par elles-mêmes, c’est qu’elles peuvent être remplacées par d’autres, de nature très différente, sans que le résultat final soit modifié. Il semble bien y avoir des Intichiuma qui ne comprennent que des oblations sans rites mimétiques ; d’autres sont purement mimétiques et ne comportent pas d’oblations. Cependant, les uns et les autres passent pour avoir la même efficacité. Si donc on attache du prix à ces différentes manœuvres, ce n’est pas à cause de leur valeur intrinsèque ; mais c’est qu’elles font partie d’un rite complexe dont on sent l’utilité globale.

Il nous est d’autant plus facile de comprendre cet état d’esprit que nous pouvons l’observer autour de nous. Surtout chez les peuples et dans les milieux les plus cultivés, il se rencontre fréquemment des croyants qui, tout en ayant des doutes sur l’efficacité spéciale que le dogme attribue à chaque rite considéré séparément, continuent pourtant à pratiquer le culte. Ils ne sont pas certains que le détail des observances prescrites soit rationnellement justifiable ; mais ils sentent qu’il leur serait impossible de s’en affranchir sans tomber dans un désarroi moral devant lequel ils reculent. Le fait même que la foi a perdu chez eux ses racines intellectuelles met ainsi en évidence les raisons profondes sur lesquelles elle repose. Voilà pourquoi les critiques faciles, auxquelles un rationalisme simpliste a parfois soumis les prescriptions rituelles, laissent en général le fidèle indifférent : c’est que la vraie justification des pratiques religieuses n’est pas dans les fins apparentes qu’elles poursuivent, mais dans l’action invisible qu’elles exercent sur les consciences, dans la façon dont elles affectent notre niveau mental. De même, quand les prédicateurs entreprennent de convaincre, ils s’attachent beaucoup moins à établir directement et par des preuves méthodiques la vérité de telle proposition particulière ou l’utilité de telle ou telle observance, qu’à éveiller ou à réveiller le senti-