Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/592

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culte commençait par des pleurs et des lamentations comme dans le deuil d’Adonis on comme dans les grands rites expiatoires qui devinrent fréquents pendant les derniers temps — une brusque révolution faisait succéder, au service funèbre par lequel s’était ouverte la cérémonie, une explosion de gaîté et de réjouissances[1] ». En un mot, alors même que les cérémonies religieuses ont pour point de départ un fait inquiétant ou attristant, elles gardent, sur l’état affectif du groupe et des individus, leur pouvoir stimulant. Par cela seul qu’elles sont collectives, elles élèvent le ton vital. Or, quand on sent en soi de la vie que ce soit sous forme d’irritation pénible ou de joyeux enthousiasme — on ne croit pas à la mort ; on se rassure donc, on reprend courage et, subjectivement, tout se passe comme si le rite avait réellement écarté le danger que l’on redoutait. Voilà comment on attribue aux mouvements dont il est fait, aux cris poussés, au sang versé, aux blessures qu’on s’inflige ou qu’on inflige à d’autres, des vertus curatives ou préventives ; et, comme ces différents sévices font nécessairement souffrir, la souffrance, par elle-même, finit par être considérée comme un moyen de conjurer le mal, de guérir la maladie[2]. Plus tard, quand la plupart des forces religieuses eurent pris la forme de personnalités morales, on expliqua l’efficacité de ces pratiques en imaginant qu’elles avaient pour objet d’apaiser un dieu malfaisant ou irrité. Mais ces conceptions ne font que refléter le rite et les sentiments qu’il suscite ; elles en sont une interprétation, et non la cause déterminante.

Un manquement rituel n’agit pas d’une autre manière. Lui aussi est une menace pour la collectivité ; il l’atteint dans son existence morale, puisqu’il l’atteint dans ses

  1. Op. cit., p. 262.
  2. Il est d’ailleurs possible que la croyance aux vertus moralement tonifiantes de la souffrance (v. plus haut p. 446) ait ici joué quelque rôle. Puisque la douleur sanctifie, puisqu’elle élève le niveau religieux du fidèle, elle peut aussi le relever quand il est tombé au-dessous de la normale.