Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/600

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très différent de celui où il était à l’origine. Froissé, irrité par la profanation qu’implique cette extension abusive et contre nature, il est devenu agressif et enclin aux violences destructives ; il tend à se venger de l’offense subie. Pour cette raison, le sujet contagionné apparaît comme envahi par une force virulente et novice, qui menace tout ce qui l’approche ; par suite, il n’inspire qu’éloignement et répugnance ; il est comme marqué d’une tare, d’une souillure. Et cependant, cette souillure a pour cause ce même état psychique qui, dans d’autres circonstances, consacrait et sanctifiait. Mais que la colère ainsi soulevée soit satisfaite par un rite expiatoire et, soulagée, elle tombe ; le sentiment offensé s’apaise et revient à son état initial. Il agit donc, de nouveau, comme il agissait dans le principe ; au lieu de contaminer, il sanctifie. Comme il continue à contagionner l’objet auquel il s’est attaché, celui-ci ne saurait redevenir profane et religieusement indifférent. Mais le sens de la force religieuse qui paraît l’occuper s’est transformé : d’impur, il est devenu pur et instrument de purification.

En résumé, les deux pôles de la vie religieuse correspondent aux deux états opposés par lesquels passe toute vie sociale. Il y a entre le sacré faste et le sacré néfaste le même contraste qu’entre les états d’euphorie et de dysphorie collective. Mais parce que les uns et les autres sont également collectifs, il y a, entre les constructions mythologiques qui les symbolisent, une intime parenté de nature. Les sentiments mis en commun varient de l’extrême abattement à l’extrême allégresse, de l’irritation douloureuse à l’enthousiasme extatique ; mais, dans tous les cas, il y a communion des consciences et réconfort mutuel par suite de cette communion. Le processus fondamental est toujours le même ; seules, les circonstances le colorent différemment. C’est donc, en définitive, l’unité et la diversité de la vie sociale qui font, à la fois, l’unité et la diversité des êtres et des choses sacrées.