Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/631

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C’est là, d’ailleurs, ce qui fait le prix que la pensée conceptuelle a pour nous. Si les concepts n’étaient que des idées générales, ils n’enrichiraient pas beaucoup la connaissance ; car le général, comme nous l’avons déjà dit, ne contient rien de plus que le particulier. Mais si ce sont, avant tout, des représentations collectives, ils ajoutent, à ce que peut nous apprendre notre expérience personnelle, tout ce que la collectivité a accumulé de sagesse et de science au cours des siècles. Penser par concepts, ce n’est pas simplement voir le réel par le côté le plus général ; c’est projeter sur la sensation une lumière qui l’éclaire, la pénètre et la transforme. Concevoir une chose, c’est en même temps qu’en mieux appréhender les éléments essentiels, la situer dans un ensemble ; car chaque civilisation a son système organisé de concepts qui la caractérise. En face de ce système de notions, l’esprit individuel est dans la même situation que le νοῦς de Platon en face du monde des Idées. Il s’efforce de se les assimiler, car il en a besoin pour pouvoir commercer avec ses semblables ; mais l’assimilation est toujours imparfaite. Chacun de nous les voit à sa façon. Il en est qui nous échappent complètement, qui restent en dehors de notre cercle de vision ; d’autres, dont nous n’apercevons que certains aspects. Il en est même, et beaucoup, que nous dénaturons en les pensant ; car, comme elles sont collectives par nature, elles ne peuvent s’individualiser sans être retouchées, modifiées et, par conséquent, faussées. De là vient que nous avons tant de mal à nous entendre, que, souvent même, nous nous mentons, sans le vouloir, les uns aux autres : c’est que nous employons tous les mêmes mots sans leur donner tous le même sens.

On peut maintenant entrevoir quelle est la part de la société dans la genèse de la pensée logique. Celle-ci n’est possible qu’à partir du moment où, au-dessus des représentations fugitives qu’il doit à l’expérience sensible, l’homme est arrivé à concevoir tout un monde d’idéaux stables, lieu commun des intelligences. Penser logique-