Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/108

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une criminalité. Elle change de forme, les actes qui sont ainsi qualifiés ne sont pas partout les mêmes ; mais, partout et toujours, il y a eu des hommes qui se conduisaient de manière à attirer sur eux la répression pénale. Si, du moins, à mesure que les sociétés passent des types inférieurs aux plus élevés, le taux de la criminalité, c’est-à-dire le rapport entre le chiffre annuel des crimes et celui de la population, tendait à baisser, on pourrait croire que, tout en restant un phénomène normal, le crime, cependant, tend à perdre ce caractère. Mais nous n’avons aucune raison qui nous permette de croire à la réalité de cette régression. Bien des faits sembleraient plutôt démontrer l’existence d’un mouvement en sens inverse. Depuis le commencement du siècle, la statistique nous fournit le moyen de suivre la marche de la criminalité ; or, elle a partout augmenté. En France, l’augmentation est de près de 300 %. Il n’est donc pas de phénomène qui présente de la manière la plus irrécusée tous les symptômes de la normalité, puisqu’il apparaît comme étroitement lié aux conditions de toute vie collective. Faire du crime une maladie sociale, ce serait admettre que la maladie n’est pas quelque chose d’accidentel, mais, au contraire, dérive, dans certains cas, de la constitution fondamentale de l’être vivant ; ce serait effacer toute distinction entre le physiologique et le pathologique. Sans doute, il peut se faire que le crime lui-même ait des formes anormales ; c’est ce qui arrive quand, par exemple, il atteint un taux exagéré. Il n’est pas douteux, en effet, que cet excès ne soit de nature morbide. Ce qui est normal, c’est simplement qu’il y ait une criminalité, pourvu que celle-ci atteigne et ne dépasse pas, pour chaque