Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/170

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leur ordre de succession ? Mais il est impossible de concevoir comment l’état où la civilisation se trouve parvenue à un moment donné pourrait être la cause déterminante de l’état qui suit. Les étapes que parcourt successivement l’humanité ne s’engendrent pas les unes les autres. On comprend bien que les progrès réalisés à une époque déterminée dans l’ordre juridique, économique, politique, etc., rendent possibles de nouveaux progrès, mais en quoi les prédéterminent-ils ? Ils sont un point de départ qui permet d’aller plus loin ; mais qu’est-ce qui nous incite à aller plus loin ? Il faudrait admettre alors une tendance interne qui pousse l’humanité à dépasser sans cesse les résultats acquis, soit pour se réaliser complètement, soit pour accroître son bonheur, et l’objet de la sociologie serait de retrouver l’ordre selon lequel s’est développée cette tendance. Mais, sans revenir sur les difficultés qu’implique une pareille hypothèse, en tout cas, la loi qui exprime ce développement ne saurait avoir rien de causal. Un rapport de causalité, en effet, ne peut s’établir qu’entre deux faits donnés ; or cette tendance, qui est censée être la cause de ce développement, n’est pas donnée ; elle n’est que postulée et construite par l’esprit d’après les effets qu’on lui attribue. C’est une sorte de faculté motrice que nous imaginons sous le mouvement, pour en rendre compte ; mais la cause efficiente d’un mouvement ne peut être qu’un autre mouvement, non une virtualité de ce genre. Tout ce que nous atteignons donc expérimentalement en l’espèce, c’est une suite de changements entre lesquels il n’existe pas de lien causal. L’état antécédent ne produit pas le conséquent, mais le rapport entre eux est exclusive-