Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

maire que nous en avons, qui forment la matière de la science, de même que la physique a pour objet les corps tels qu’ils existent, non l’idée que s’en fait le vulgaire. Il en résulte qu’on prend pour base de la morale ce qui n’en est que le sommet, à savoir la manière dont elle se prolonge dans les consciences individuelles et y retentit. Et ce n’est pas seulement dans les problèmes les plus généraux de la science que cette méthode est suivie ; elle reste la même dans les questions spéciales. Des idées essentielles qu’il étudie au début, le moraliste passe aux idées secondaires de famille, de patrie, de responsabilité, de charité, de justice ; mais c’est toujours à des idées que s’applique sa réflexion.

Il n’en est pas autrement de l’économie politique. Elle a pour objet, dit Stuart Mill, les faits sociaux qui se produisent principalement ou exclusivement en vue de l’acquisition des richesses[1]. Mais pour que les faits ainsi définis pussent être assignés, en tant que choses, à l’observation du savant, il faudrait tout au moins que l’on pût indiquer à quel signe il est possible de reconnaître ceux qui satisfont à cette condition. Or, au début de la science, on n’est même pas en droit d’affirmer qu’il en existe, bien loin qu’on puisse savoir quels ils sont. Dans tout ordre de recherches, en effet, c’est seulement quand l’explication des faits est assez avancée qu’il est possible d’établir qu’ils ont un but et quel il est. Il n’est pas de problème plus complexe ni moins susceptible d’être tranché d’emblée. Rien donc ne nous assure par avance qu’il y ait une sphère de l’activité sociale où

  1. Système de Logique, III, p. 496.