Page:Durkheim - Qui a voulu la guerre ?.djvu/57

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magne eût pu interpréter comme un fait de guerre, les troupes françaises reçurent l’ordre, même après la mobilisation, de laisser une zone de 10 kilomètres entre elles et la frontière[1].

Mais l’Allemagne, elle, ne pouvait pas attendre. Le plan de son État-Major était de se jeter immédiatement sur la France, de la réduire à merci en quelques semaines pour se retourner ensuite contre la Russie. Il lui fallait donc aller vite. Elle patienta cependant le plus qu’elle put, espérant sans doute que la France finirait par prendre l’initiative de la rupture et lui épargnerait l’odieux de l’agression. Mais, le 1er août, l’ultimatum adressé à la Belgique était expiré, les hostilités allaient commencer, il n’était plus possible de différer davantage : aussi, à 6 h. 45 du soir, M. de Schoen venait-il au quai d’Orsay réclamer ses passeports et déclarer la guerre.

Il n’était pas très facile de motiver une déclaration que ne justifiait aucun conflit direct entre les deux pays. On se borna à alléguer que des aviateurs français avaient commis des actes d’hostilité en territoire allemand. L’un aurait essayé de détruire des constructions près de Wesel, d’autres auraient été aperçus sur la région de l’Eifel, un autre enfin aurait jeté des bombes sur le chemin de fer près de Karlsruhe et de Nuremberg. La manière même dont ces accusations étaient énoncées suffit à prouver qu’elles étaient de simples et pauvres inventions. Aucun témoignage n’était cité, aucune précision n’était donnée sur les endroits exacts où ces faits auraient eu lieu, sur leur date, sur la manière dont ils se seraient produits, sur la nature et l’étendue des dommages causés. Tous ces incidents étaient présentés comme s’ils s’étaient produits en dehors du temps et de l’espace, ce qui est la meilleure preuve de leur irréalité[2].

  1. L. J., no 136.
  2. Nous avons voulu nous assurer si, dans les journaux allemands, ces faits étaient rapportés avec plus de précision. Nous avons consulté cinq grands journaux (Vorwaerts, Arbeiterzeitung, de Vienne Frankfurter Zeihtung, Koelnische Zeitung, Münchner Neueste Nachrichten) de fin juillet au 5 août. Nous avons noté d’abord qu’il n’y est pas question de l’avion qui aurait survolé Karlsruhe. Pour les autres, l’imprécision est la même que dans la note officielle. Ces incidents, qui auraient été la cause déterminante de la guerre, sont rapportés en une ligne, deux ou trois au plus. Jamais les bombes n’ont laissé de traces. Un de ces avions, celui de Wesel, aurait été descendu ; on ne nous dit rien de l’aviateur, de ce qu’il est devenu, ni de l’avion lui-même. Enfin, on les signale bien à leur arrivée en Allemagne ; ensuite, on n’en parle plus. On ne les a pas vus retourner à leurs lieux d’origine.
    Mais voici qui est plus probant encore. Nous avons pu nous procurer un journal de Nuremberg même, le Fränkischer Kurrier. Le 2 août, jour où l’avion aurait lancé des bombes, il n’est pas dit un mot de l’incident. C’est le 3 que Nuremberg apprit la nouvelle par un télégramme de Berlin, identique à celui que publièrent les autres journaux. Enfin, la Koelnische Zeitung du 3, édition du matin, publie un télégramme de Munich ainsi conçu : « Le ministère bavarois de la guerre doute de l’exactitude de la nouvelle annonçant que des aviateurs auraient été vus au-dessus des lignes Nuremberg-Kitzingen et Nuremberg-Ansbach jetant des bombes sur la voie ».
    Nous avons été grandement aidés dans ces recherches par notre collègue J. Hadamard et M. Edg. Milhaud, professeur à l’Université de Genève, à qui nous adressons tous nos remerciements.