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LIVRE VI.

inspiré l’idée de la comparer à une gazelle pour avoir le temps de trouver ses pensées. Cette résonnance due au hasard les fit sourire tous deux. Ce fut la première origine de la rime chez les peuples de ce pays-là.

Étonnée, encore plus ravie de ce langage nouveau, cadencé dont elle n’avait aucune idée, la dame se perdait en mille rêveries.

« Quelle langue de miel ! disait-elle. Jamais je n’en ouïs de semblable dans mon château. Est-ce la langue des pauvres ?

— Non, madame, dit Merlin. C’est la langue de l’amour ; j’aurais dû l’inventer. »

Là-dessus, il lui apprit comment ces vers étaient les plus beaux qui eussent été composés depuis Virgile et comment elle avait fait ce miracle.

Rentrée dans son château, la dame fut prise d’un grand ennui.

« Parlez-moi donc en vers, » disait-elle à la foule des courtisans qui voulaient s’en faire aimer.

Personne ne la comprenait. Tout lui semblait rude et grossier en comparaison de ce qu’elle avait entendu. Elle prêta l’oreille du haut des tours ; elle entendit encore le chant de son serviteur dans la vallée. Depuis ce jour, l’un donna, l’autre reçut, tous deux furent comblés.

Ce prodige fut un des plus grands de ceux de Merlin. Il réconcilia le riche avec le pauvre, et, du même coup, il inventa la poésie.