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MERLIN L’ENCHANTEUR.

ont jamais laissé de pareilles empreintes ? Les rochers eux-mêmes parlent. Nous croyons aux pyramides parce qu’elles nous enseignent la mort ; ne croirons-nous pas aux dolmens parce qu’ils nous enseignent l’éternité heureuse de deux êtres ? Allons ! sceptiques, doutons de tout, s’il faut douter de ce qui est écrit sous nos yeux en points d’exclamations de granit, de vingt coudées !

Oui, ils étaient heureux, ai-je dit ; mais ils ont cessé de l’être, et c’est là que commence pour moi la difficulté. Il est aisé d’écrire à côté l’un de l’autre des mots aussi discordants que le paradis et l’enfer. L’expérience même a pu vous faire connaître en un moment des états si opposés, le matin la félicité, le soir le désespoir. Cela s’est vu et cela se reverra. Mais accorder ces choses dans une même page, passer harmonieusement de l’excès du bien à l’excès du mal, du sourire aux larmes, tout expliquer, tout aplanir, tout concilier, voilà la partie la plus difficile de mon sujet.

Pourquoi aussi exiger qu’un livre écrit d’une main terrestre soit plus harmonieux, mieux enchaîné que le livre des destinées ? Celui-ci ne donne la raison d’aucun changement ; il ne ménage aucune transition. Tout y est brusque et imprévu. Tournez le feuillet, la terre et les cieux ont changé de visage. La page la plus enivrante finit par un cri de douleur. Et la cause, le motif, où sont-ils ?

Nulle condamnation n’a pesé sur leurs fronts. Un archange armé d’une épée de flammes n’a point honteusement chassé Merlin et Viviane de leur Éden. S’ils