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LIVRE I.

yeux, sa bouche ingénue, ses sourcils de madone, et, quant à l’intérieur, sa piété, son désir de sainteté, sa vie morale, ou, pour mieux dire, son âme presque entière.

Mais il avait pourtant aussi quelques traits éloignés de son père, par exemple : la curiosité, une mémoire inexorable, l’impatience, l’horreur du frein.

Par sa mère, il se rattachait étroitement au ciel ; par son père, à l’enfer.

Par l’une, il planait dans l’avenir ; par l’autre, il était serf du présent, esclave du passé.

Dieu ou Satan, lequel vaincrait en lui ? Cruelle question qui faisait déjà son supplice, à cet âge qui, pour tous les autres, est l’âge d’or.

Quelquefois il croyait entendre les voix éteintes de tous les dieux païens errants dans les landes, et qui lui disaient : « Merlin ! Merlin ! reste-nous fidèle ! Bâtis-nous seulement un petit toit de bruyères : nous te promettons le bonheur. »

Sitôt qu’il se mettait à l’œuvre, une autre voix s’élevait à sa gauche, qui lui disait : « Que fais-tu, Merlin ? C’est une croix qu’il faut planter ! Vois-donc les fleurs ! elles se sont toutes converties ce matin ; elles prennent maintenant la forme de la croix : regarde plutôt les trèfles de ton jardin. »

Merlin cueillait alors un bouquet ; il comptait les feuilles de trèfle, une, deux, trois… il s’arrêtait avec stupeur. Sa raison était à demi vaincue, il ne restait qu’à soumettre son orgueil. Et plût à Dieu qu’il l’eût fait sans réserve ! Mais aussitôt les dieux païens faisaient