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MERLIN L’ENCHANTEUR.

blie. Je l’ai trop mérité. Réparons, s’il en est temps encore, cette injustice.

— Mais encore nous faut-il une heureuse occasion ! répondait Turpin. Quand se trouvera-t-elle ?

— Plus tôt que tu ne penses, ami ! Retiens bien tout ce que tu vas voir aujourd’hui : tu l’écriras demain dans mon livre sacré. »

Voilà ce qu’ils disaient sous le ciel de Provence, près d’Avignon, plus près encore de la gorge de Vaucluse. Nos voyageurs, haletants sous le poids du soleil, venaient justement de remonter le lit du ruisseau de la Sorgue ; ils en cherchaient la source. Nul homme avant eux n’avait encore pénétré dans ces lieux sauvages. D’immenses rochers troués vers le faite, déchiquetés, dentelés en scies, servaient de barrière. Le torrent était à cette saison desséché dans son lit ; mais la source, où aucun regard humain ne s’était encore réfléchi, s’amassait en secret dans le flanc entr’ouvert de la montagne.

Nos voyageurs, ayant grand’soif, burent précipitamment, l’un après l’autre, dans le creux de leur main. Quand vint le tour de Merlin, dès qu’il eut approché ses lèvres de la source de Vaucluse, un frémissement prophétique le saisit ; et interpellant aussitôt ses compagnons :

« Ou j’ai perdu ma science, ou il est sûr que voilà une eau sacrée dans laquelle plus d’une âme se désaltérera. Entendez le bruit sourd des cascades souterraines, suivez dans le haut des airs ces ramiers poursuivis par le milan. Croyez-moi : une chose extraordinaire se pré-