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MERLIN L’ENCHANTEUR.

que voilà son cou de cygne, ses épaules d’ivoire. Quoi qu’il en soit, je ne puis souffrir que, sous le prétexte de l’art ou de la beauté divine, Viviane soit livrée ainsi plus longtemps aux regards indiscrets des sujets d’Épistrophius et peut-être de lui-même. »

La vérité est que le sage Merlin finit par céder à un accès étrange de jalousie, à l’aspect des pierres qui lui semblaient palpiter sous ses yeux. Sans perdre un moment, il les cacha dans le plus épais du bois ; non content de cela, il les couvrit lui-même de terre.

À son retour, le noble Épistrophius reconnut à son visage altéré qu’il sortait d’une vive émotion : il lui en demanda la cause. Merlin, auquel rien n’était plus malaisé que de dissimuler, confessa ce qu’il venait de faire, dût son action offenser le roi.

« Ne craignez pas, répondit Épistrophius. Rien n’entre mieux dans les intentions de mon règne. À tous mes sujets j’ordonne que les statues qui ressemblent à Viviane soient cachées aux regards sous dix ou vingt coudées de terre. Est-ce assez, Merlin ? Du reste, fiez-vous à mes peuples. »

Les ordres donnés par Épistrophius furent obéis sur-le-champ dans son vaste empire. Merlin lui-même y veillait. Tout au plus laissait-il surgir quelquefois hors de terre le bout du doigt d’une main ou d’un pied. Jamais rien de plus. Ceux qui passèrent furent étonnés de ne plus voir tant de beautés qui les avaient ravis :

« Sans doute les dieux les ont emportées ! »

Le lendemain ils les avaient oubliées. Du moins le