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MERLIN L’ENCHANTEUR.

peindre dans sa vie publique ; il faut le montrer au foyer, dans l’intimité de la vie privée. C’est là qu’est l’écueil. Le moindre danger, avec un pareil héros, c’est de s’égarer et d’être précipité cent fois le jour, en passant trop brusquement du ciel à la terre, de la terre à l’enfer, du sublime au familier, du tragique au comique.

J’en vais donner la preuve. Que pensait Merlin, direz-vous, des femmes de Lutèce ? Que devenaient avec elles son art et sa science ? Quel était son visage, son maintien ? Je dois le dire, si je ne veux laisser en cet endroit une lacune impardonnable. Baissons donc le ton, c’est le moment de replier les ailes. Les classiques m’ouvrent ici la voie, témoin les deux jumeaux, enfants gâtés des dieux, qui habitaient un jour l’Olympe, et l’autre jour, le hameau médisant de Thérapné.

Prenez cet aveu comme vous le voudrez. Merlin avait peur des femmes de Lutèce. Leurs douces voix d’oiseaux moqueurs le déconcertaient d’abord. Il écoutait, sans oser parler, ce gazouillement humain entre ciel et terre, sans savoir si c’était l’art ou la nature. Leur sourire aussi lui faisait peur, car ce sourire qui effleurait toutes choses semblait les braver toutes.

Merlin ne savait comment agir sur elles, et se sentait désarmé en même temps que défié. Il était incapable de jouer avec les mots sacrés comme un joueur de viole qui prélude au hasard sur la viole d’amour. Était-ce que son cœur était si bien rempli qu’il ne pouvait rien imaginer ni souhaiter, ni convoiter ? Je ne dis pas cela. Dans une âme remplie, il reste toujours place au moins