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LIVRE XX.

le fléau. Mais Turpin, après l’avoir fièrement considéré, en frappa autour de lui la terre pour l’éprouver, comme fait le batteur dans la grange, quand il commence sa journée ; et à chaque coup la terre frémit. Des pleurs, des cris étouffés, des sanglots comme de peuples flagellés sortaient on ne sait d’où, et le furieux batteur redoublait ; on entendait un bruit de tours qui croulaient au loin, sous ses coups cadencés !

« Arrête ! lui cria le prophète. Quelle est donc ta moisson ? J’entends des voix humaines qui gémissent, comme si des nations criminelles étaient atteintes par ton fléau.

— Vous l’avez dit, ô maître ! Pourtant elles n’en sentent encore que l’approche. Que sera-ce quand le bon fléau d’airain frappera leurs épaules ? Pour Jacques, c’est à peine si j’aurai besoin de le toucher. La vue du batteur suffira, je l’espère. Allons ! le blé est mûr. Laissez-moi faire ; je flagellerai l’épi ; vous recueillerez le bon grain.

— Attends encore et ne me venge pas, dépose ton fléau ! Les choses elles-mêmes me vengeront assez. Quel temps je prévois, justes cieux ! Écris ceci, Turpin : « D’abord viendra le bouc[III.] aux cornes d’or, à la barbe d’argent. Le souffle de ses narines sera si fort qu’il couvrira de vapeurs épaisses toute la surface des îles. Les femmes auront la démarche des serpents et tous leurs pas seront remplis d’orgueil. Puis ils chargeront de chaînes le cou de ceux qui rugissent, et ils couperont la langue des taureaux indomptés. Ô crime des crimes ! lier comme