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LIVRE XXI.

grand et le petit, le sage et l’insensé. Voilà pourquoi je me suis fait cette rude écorce que tu vois. Le fer même ne pourrait l’entamer.

« Je sais ce qui a paru au sortir du chaos. Je possède tous les secrets de ceux qui se sont assis à mon ombre. »

« Sais-tu où est Viviane ? interrompit Merlin.

— Je le sais. Chaque jour elle vient, à la place où tu es, converser avec moi ! Je la vois jouer avec les jeunes chevreuils dont le chasseur a tué la mère ; d’autres fois elle remplit de rosée la coupe d’un gland, et elle porte à boire à la cigale altérée sous le chaume. »

À ces mots Merlin s’incline, il prête l’oreille. Bientôt il tombe dans une rêverie si profonde qu’il semble sommeiller. Couché sur la terre, la tête appuyée sur son coude, quoique ses yeux fussent ouverts, il regardait sans voir ; il écoutait sans entendre les derniers chuchotements sacrés du vieillard aux cent rameaux.

Maintenant, le croirez-vous ou ne le croirez-vous pas ? Viviane, en marchant sur la mousse, arrive subitement près du buisson fleuri. La voyez-vous ? Pour moi je la vois distinctement, un peu penchée en avant, retenant son haleine, les cheveux mouillés de rosée. Mais d’où vient-elle ? Pourquoi a-t-elle tant tardé ? Pourquoi à cette heure plutôt qu’à une autre ? Est-il croyable qu’elle ait pu se frayer son chemin sans qu’aucune voix, pas même d’un grillon, ait salué ou trahi son approche ? Je répète encore une fois que cet esprit raisonneur est le contraire de l’histoire. S’il fallait répondre à toute question, il n’y aurait plus de récit possible. Ne