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LIVRE XXIV.

dire ; voici le principal. J’aurais juré que force siècles se dévoraient l’un l’autre, tels que limiers démuselés, que force royaumes s’écroulaient, que peuples se succédaient hâtivement, générations passaient, comme fleurs ou ombres, batailles se livraient ; et, chose incroyable, langues changeaient, ainsi que lois et coutumes. N’as-tu rien entendu de pareil, toi qui es resté éveillé ?

— Quelque chose approchant.

— De plus, j’entendais des peuples haletants, comme sangliers traqués au gîte.

— Justement.

— Et plus d’un autel était mal encensé ; la face même des cieux changeait.

— Témoin le char de David, qui a perdu son timon.

— Il y avait encore des rois sans tête et des reines qui s’asseyaient sur la terre et pleuraient.

— Cela s’est vu, sire !

— Après chacun de ces changements, je te retrouvais toujours, Jacques, te chauffant au même feu demi-éteint, demi-flambant ; et tu étais toujours plus dupe et plus misérable que devant.

— C’est vérité, bon roi !

— Il me semblait encore que la terre désolée m’appelait à son secours, et je faisais un effort prodigieux pour arriver en temps utile. Mais figure-toi que quantité de nains me retenaient assez vilainement l’un par le pied, l’autre par le bras, qui par la chevelure, qui par mon baudrier ; et grâce à cette cohue de gnomes, dont un bon nombre portait des couronnes ou des mitres, je