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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Que ne l’a-t-il laissée au milieu du sillon qu’elle aidait hier à creuser ? Elle serait encore aujourd’hui pleine de vie. Elle lutterait encore de couleurs purpurines avec la mûre, avec la grenade, avec la fleur du caroubier, de l’églantier sauvage, et même avec l’incarnat de l’ancolie, la plus belle des fleurs, ou aucun soleil ne peut faner. Et maintenant, la voilà le front glacé, les lèvres violettes, les cheveux souillés de sable, les yeux fermés pour toujours, sans souffle, sans mouvement. Pourtant, un dernier reste de chaleur n’a pas abandonné le cœur.

Disons encore qu’en rasant les flots et pénétrant par l’étroit soupirail, la lumière teint d’un sombre azur, violacé, ou plutôt cadavérique, tous les objets de la caverne, sans excepter le corps de Marina.

« Quel crime affreux ! s’écria Merlin, dès qu’il put parler. Mais il sera vengé ! Non, jamais la mort de Malvina dans la grotte de Fingal, ni celle de Lucrèce à Rome, ni l’enlèvement d’Hélène, ni celui de Briséis, ni celui d’Yseult la blonde, ou de Genièvre (car aucune ne fut si belle !), n’auront eu d’aussi terribles suites. Stamboul, tu seras ébranlée sur ta base ! »

En même temps qu’il proférait ces paroles, il frappait de ses mains celles de la jeune fille dans l’espoir d’y ramener un reste de vie ; et même il les couvrait de tièdes larmes. Il lui fit des frictions aux tempes, au front, à la nuque ; il lui fit respirer des touffes de serpolet, de thym, de lavande, qui heureusement tapissaient en abondance les flancs herbus de la grotte. Même il