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Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/182

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déceptions et qui pour nous-mêmes étaient sans résultat. Le talent croit qu’il pourra faire ce qu’il voit faire à certaines gens, mais il se trompe, et il regrette plus tard ses faux frais[1]. À quoi nous sert-il de nous mettre pour une nuit des papillotes ? Le lendemain soir nos cheveux sont retombés. Ce dont il s’agit pour vous, c’est de vous former un capital qui ne puisse plus vous échapper. C’est à quoi vous réussirez en étudiant, comme vous avez commencé à le faire, la langue et la littérature anglaises. Ne quittez pas ce travail, et profitez à tout moment du secours favorable que vous offre le séjour de jeunes Anglais à Weimar. Vous avez perdu pendant votre jeunesse presque tout ce que vous possédiez en connaissances sur les langues anciennes, cherchez donc à vous établir dans la littérature d’une nation aussi considérable que la nation anglaise. D’ailleurs notre littérature est en grande partie sortie de la leur. Nos romans, nos tragédies, d’où sortent-ils, sinon de Goldsmith, de Fielding et de Shakspeare ? Et encore aujourd’hui, où pouvez-vous trouver en Allemagne trois héros littéraires à placer à côté de lord Byron, de Moore et de Walter Scott ? — Ainsi, encore une fois, fortifiez-vous dans l’anglais, réunissez vos forces pour une œuvre solide, et laissez de côté tout ce qui est sans résultat pour vous, tout ce qui n’est pas à votre taille. »

J’écoutais Goethe avec joie ; je me sentis calmé complètement, et décidé à suivre pour tout ses conseils. M. le chancelier de Müller se fit annoncer et vint s’asseoir près de nous. La conversation revint sur le buste de Dante, toujours placé là, et sur sa vie et ses œuvres. On parla de l’obscurité de ses poésies, qui est telle que les compa-

  1. En français dans le texte.